Le résultat était prévisible, mais la claque n'en est pas moins violente. Le deuxième jour de la première session du Parlement européen pour la mandature 2014-2019, mercredi 2 juillet, les députés votent la répartition des postes au sein des 22 commissions.
Comme tous les autres pays, les Français négocient leurs places. Le résultat est mauvais. Entre cette législature et la précédente, les élus hexagonaux réduisent leur présence aux postes qui comptent.
Connaissez-vous la Pologne ?
Les belles prises sont réduites à la portion congrue. L’UMP Élisabeth Morin Chartier première questeure, son homologue Alain Cadec à la présidence de la commission Pêche, celle des Budgets pour l'UDI Jean Arthuis, la socialiste Sylvie Guillaume à la vice-présidence du Parlement.
La première raison est purement arithmétique. L'arrivée de 23 élus du Front national, incapables de former un groupe, réduit d'autant la capacité des Français à peser pour obtenir des responsabilités.
L'influence de la délégation française - 74 députés en tout, 50 dans des groupes -, a donc grosso modo été réduite à celle de la Pologne, un pays de 40 millions d’habitants.
Mais ces pertes n'expliquent pas tout. Des jeux politiques et des choix court-termistes justifient aussi le tableau qui se dessine.
L'effondrement des Verts
Chez les Verts, la situation est particulièrement inquiétante.
Leur maigre cortège se réduit à 6 élus, contre 16 pour la période précédente. Yannick Jadot a perdu la bataille de la coprésidence du groupe Verts/ALE, qui l’opposait au Belge Philippe Lamberts. Sans parler des tensions internes à la délégation qui ont failli priver les Verts d'une vice-présidence de groupe…que Michèle Rivasi a pu récupérer à l'arraché.
Pour contrer l'influence allemande, l'élue écologiste tente de réunir sous sa bannière les autres francophones du groupe (Belgique, Luxembourg), allant même jusqu'à faire les yeux doux au Catalan Ernest Maragall.
À noter tout de même une belle prise pour une délégation aussi peu nombreuse : Karima Delli devrait présider la commission Transports dans deux ans et demi, lors du remaniement de mi-mandat. D'ici là, elle sera coordinatrice.
Un temps, les Verts français espéraient la propulser à la présidence de la commission Emploi. C'est finalement le groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE) qui a raflé le poste.
Le Front de Gauche a mal dosé ses cartouches
Le Front de Gauche (4 élus), membre de la GUE, a fait des pieds et des mains pour tenter de placer le Réunionnais Younous Omarjee à la tête de la Commission. Jean-Luc Mélenchon a même plaidé en sa faveur. Sans succès, les Français ayant déjà utilisé leur joker pour Patrick Le Hyaric, élu vice-président du groupe. Une position symbolique par rapport à une présidence de commission.
Les choix très politiques de l’UMP
À l’UMP, la situation peut paraître meilleure. Du moins en apparence.
Les conservateurs français restent la troisième nationalité du Parti populaire européen (PPE), derrière les Allemands et les Polonais.
Avec 20 députés, le parti sera représenté dans chaque commission parlementaire, de quoi couvrir tous les sujets. Mais la répartition est surprenante.
L'un des gros dossiers des cinq années à venir est la réforme du droit d’auteur. Le sujet sera très probablement traité par la commission Affaires juridiques, où l’UMP sera seulement représenté par une suppléante en la personne de Constance Le Grip.
La très importante commission du Marché intérieur est également délaissée. Dans les rangs de l'UMP, seul l'eurodéputé Philippe Juvin s'apprête à y siéger.
Pour occuper la vice-présidence de la commission du Commerce international, chargée de l'accord de libre-échange entre l'UE et les États-Unis, l’UMP a choisi d’envoyer Tokia Saifi, qui, malgré son quatrième mandat, a peu d’influence dans l’hémicycle.
À l’inverse, les Français du PPE ont fait le choix d’investir en masse des sujets plus visibles politiquement, faisant fi des domaines d'expertise des intéressés et des compétences réelles du Parlement.
Pas moins de quatre députés (deux permanents avec Michèle Aliot-Marie et Arnaud Danjean, deux suppléants avec Tokia Saifi et Philippe Juvin) siègeront en Affaires étrangères, un domaine où les députés n’ont aucun pouvoir législatif.
Dans le même temps, fin connaisseur des problématiques de Défense, Arnaud Danjean perd la présidence de la sous-commission dédiée au sujet.
Brice Hortefeux, Rachida Dati et Nadine Morano (suppléante) iront en Libertés civiles et affaires intérieures (Libe), qui traite en bonne partie des questions d’immigration. Là encore, les décisions restent avant tout entre les mains des États.
La commission Libe est également le lieu où se négocie la cruciale réforme de la protection des données personnelles. Un enjeu éloigné des préoccupations politiques et domaines d'expertise de ces trois députés.
Technique de Sioux
Les socialistes ont déjà connu cette situation. À la fin de la législature précédente, ils n’étaient plus que 13. Ils sont aujourd'hui moins nombreux que les socialistes roumains (16 élus sur une délégation de 32), et presque trois fois moins que les Italiens.
La nouvelle chef du PS à Strasbourg, Pervenche Berès (PS, S&D) a donc repris la stratégie utilisée en 2009 dite du "commando".
"Nous devrons agir vite, occuper le terrain", explique l'élue, lors d’une rencontre avec la presse, le 1er juillet.
“C’est pour cela qu’avant même la désignation de Jean-Claude Juncker par les chefs d’État et de gouvernement pour la présidence de la Commission, nous avons publié un document avec nos demandes concernant la réorientation de l’Europe. Pour peser dans les discussions internes du groupe S&D.”
"Nous sommes comme les Indiens. Ils sont 20 000, nous sommes 2. Nous allons donc les encercler", lâche Éric Andrieu, goguenard.
Les seuls à tirer à peu près leur épingle du jeu sont les sept élus UDI-Modem. Dépassé par les conservateurs eurosceptiques britanniques, leur groupe, l’Alliance des libéraux et démocrates, n'est plus que le quatrième de l’hémicycle. Mais, en interne, les centristes français se paient le luxe de constituer le premier parti.
Cette prédominance leur permet de récupérer la présidence de la commission des Budgets et une place pour Sylvie Goulard en Affaires économiques. Une place de coordinatrice est aussi évoquée.
Peu de députés expérimentés
Avoir privilégié la politique à la stratégie n'est pas le seul problème des Français. Ils font également face à un déficit de compétences. Ce qui a empêché les deux plus grandes délégations, UMP et PS, de prétendre pour le moment aux postes de coordinateurs.
Peu connue, cette fonction permet d’orienter les votes en commission, tout en gérant la répartition des tâches entre les députés : le coordinateur détermine les rapports dont un élu peut avoir la charge. Beaucoup de temps de présence et la reconnaissance de ses pairs sont nécessaires pour y accéder. La répartition n'obéit à aucune règle de proportionnelle entre nationalités.
“Faites les comptes vous-même. Les membres expérimentés et reconnus ont déjà tous des responsabilités diverses, qui vouliez-vous que l’UMP présente à la place ?" lâche, dépité, un fin connaisseur de la mécanique européenne.
Même constat au PS, même si l'on se veut confiant.
"Lors du remaniement des commissions et des postes dans deux ans et demi, on compte bien combler ce manque grâce à la montée en puissance de certains nouveaux."
Lors de la précédente législature, les députés français occupaient trois présidences de commissions (Budgets, Emploi, Développement) et une présidence de sous commission (Sécurité et défense). Le chiffre a été divisé par deux depuis les élections du 25 mai.
En 2010, le PS et l'UMP disposaient de trois coordinateurs de groupe contre aucun aujourd'hui.
Les conversateurs européens et les Verts de l'hémicycle étaient respectivement présidés par Joseph Daul et Daniel Cohn Bendit ce qui permettaient aux Français d'être présents à la conférence des présidents, ce qui n'est plus cas maintenant. Cette instance est centrale dans la définition de l'agenda et des priorités politiques du Parlement.