Paris aura dû batailler jusqu’à la dernière seconde pour obtenir en partie satisfaction.
Officiellement, les États n’ont pas leur mot à dire dans la composition des cabinets des commissaires européens.
Officieusement, chacun développe une stratégie pour placer ses nationaux dans l’espoir d'influencer les décisions ou être alerté des intentions de la Commission.
Besoin de comprendre Berlin
À ce jeu de lobbying, la France est à couteaux tirés avec les autres capitales. Avoir un Français dans son équipe n’est plus la priorité, reconnaissent les observateurs de ces tractations.
Cette tendance est la conséquence directe de l’affaiblissement de l’Hexagone au niveau européen. Aujourd’hui, les commissaires tiennent surtout à disposer d’un lien avec Berlin, dont ils veulent comprendre les positions. Un Allemand est donc bienvenu dans un cabinet.
À Paris, ce constat provoque de vives inquiétudes.
"On va vers une très grosse déconvenue", s’alarmait récemment un responsable, redoutant un reflux net du personnel français dans les cabinets des commissaires européens.
Si les organigrammes définitifs ne sont pas arrêtés, les premières tendances annoncées n’augurent pas de bouleversement profond.
« On observe une considérable stabilité », assure une source haut placée.
Paris dénombrait 28 membres de cabinet français lors de la dernière période, dont 4 porte-paroles. Ils devraient être 26 sous ce nouveau mandat, dont 2 porte-paroles, répartis dans 19 cabinets.
Lacune persistante sur les chefs de cabinet
Il s’agit toutefois d’un scénario optimiste, à l’heure où des ajustements ont toujours lieu, y compris sur les postes de haut rang.
La France ne compte qu’un chef de cabinet, Olivier Bailly, qui a naturellement trouvé sa place auprès du commissaire français Pierre Moscovici.
Aux postes d’adjoints, les Français se font rares. Seuls le franco-autrichien Eric Mamer, qui continuera de travailler auprès de l’Allemand Günther Oettinger (Numérique), et Nathalie Chaze, placée auprès de Vytenis Andriukaitis (Santé), ont décroché cette fonction.
Deux autres Français pourraient aussi être promus à ce rang, mais rien n’est confirmé.
Parmi les ressortissants nationaux recrutés au sein des cabinets figure Antoine Colombani. Ex-porte-parole du commissaire sortant à la concurrence, il rejoint l'équipe du premier vice-président Frans Timmermans.
Laure Chapuis, qui travaillait pour le commissaire estonien à la Fiscalité Siim Kallas, intègre le cabinet du vice-président au Marché unique numérique, Andrus Ansip, ancien Premier ministre d'Estonie.
Au total, les Français seraient présents dans les cabinets de tous les vice-présidents de la Commission européenne...à l’exception de Valdis Dombrovkis et Jyrki Katainen, tous deux en charge des dossiers économiques.
Déception sur l'agriculture
Dans le saint des saints, à savoir le cabinet du président de la Commission, le score n’est pas mauvais, car deux Français assisteront Jean-Claude Juncker.
Si l'intégration de ces derniers a été relativement aisée, le recrutement d'une quinzaine d'autres fonctionnaires a nécessité de réelles démarches. Les principaux artisans de cette manoeuvre sont Alexis Dutertre, numéro deux de la représentation permanente de la France à Bruxelles et Philippe Léglise-Costa, conseiller Europe de François Hollande.
Parfois, les ministres ont même été amenés à prendre le relais, sans garantie de succès. Les tentatives de Stéphane Le Foll ont par exemple échoué. Résultat, la France est aux abonnés absents au sein du cabinet du commissaire à l’Agriculture, un domaine pourtant crucial pour l'Hexagone.
L'Irlandais Phil Hogan a recruté massivement des ressortissants de son pays réduisant d’autant les possibilités.
Paris se veut toutefois confiant et espère encore pousser ses pions.
“Et n’oublions pas que l’adjointe de la directrice de la DG Agriculture est française”, temporise un diplomate.
Le deuxième bémol concerne l'entourage du commissaire à l’Énergie, l’Espagnol Miguel Canete, qui fait lui aussi l’économie de tout Français. Là encore, la présence de Dominique Ristori, qui chapeaute les services de la direction générale à l’énergie depuis janvier 2014, explique en bonne partie le résultat de cette équation.
La grande nation
D’un pays à l’autre, les choix retenus varient sensiblement. L’Allemagne, comme le Royaume-Uni, misent sur les postes d’encadrement (voir ci-contre). Réputés loyaux à l’égard de leur institution, les fonctionnaires européens d’origine française ne tiennent pas toujours à avoir de contact étroit avec Paris. Certains cherchent même à l’éviter.
Alors que les fonctionnaires britanniques se raréfient à la Commission, Londres devrait compter une vingtaine de ressortissants au sein des cabinets, dont 3 chefs. L’Allemagne, de son côté, continue de vampiriser les postes d’encadrement. Elle devrait décrocher 4 portefeuilles de chefs de cabinet et 5 adjoints, soit une légère progression par rapport à janvier 2010, où elle disposait à l'époque de quatre 4 chefs et 4 adjoints.
Cette fois, la méthode suivie par la France a suscité la curiosité, voire la circonspection.
“Les commissaires veulent des techniciens, alors que des profils de diplomates ont été poussés”, observe une source au fait du dossier.
Et la façon dont Paris cherche à convaincre est jugée trop frontale par certains observateurs. L'argument de la France "grande nation" ne paie plus comme avant.