Le règlement « taxonomie verte », adopté à l’été 2020, pose six objectifs environnementaux auxquels une activité peut choisir de se rattacher pour intégrer cette classification de l’investissement durable. Deux intéressent directement l’énergie : l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Ils font l’objet d’un même « acte délégué » et de deux annexes qui détaillent les conditions d’inclusion de chaque secteur, que publie ici Contexte.
La première version de cet acte délégué, soumise à consultation en novembre 2020 (relire notre analyse), avait soulevé de très nombreuses critiques. En attendant la présentation du texte définitif, mi-avril, la Commission européenne réunit le 24 mars les représentants des États membres pour leur proposer la version « corrigée » de sa copie.
L’objectif d’« adaptation au changement climatique » (annexe II) est peu détaillé. L’activité économique doit avoir mis en œuvre des solutions – énumérées en annexe – qui réduisent les risques climatiques. La Commission demande une évaluation de la pertinence de ces solutions et de leur mise en place effective. Sur ce point, les textes publiés en novembre n’ont subi que peu de changements.
L’objectif d’« atténuation du changement climatique » (annexe I) comporte, lui, des critères spécifiques par secteur. Pour l’énergie, plusieurs changements sont à noter depuis la version de novembre. Ils sont détaillés ci-après.
Attention toutefois : répondre aux critères fixés pour les objectifs d’adaptation ou d’atténuation du changement climatique ne suffit pas. Chaque activité devra aussi s’engager à respecter le principe d’innocuité (« do no significant harm principle ») par rapport aux autres objectifs – qui seront définis en décembre 2021 – relatifs à la biodiversité, l’économie circulaire, la protection des océans ou la pollution.
C’est d’ailleurs le respect de ce principe qui coince toujours, pour le nucléaire. Bruxelles avait prévenu : ce premier acte délégué n’intégrera pas l’atome, dont le sort est toujours entre les mains des experts du centre de recherche conjoint de la Commission. Un rapport est attendu dans les prochaines semaines (relire notre article).
1. De nouvelles catégories pour le gaz
Le principal changement concerne la création, pour le gaz, de deux nouvelles catégories d’activités pouvant être éligibles à la taxonomie. L’une porte sur le remplacement des systèmes de chauffage urbain alimentés par un combustible fossile (hors gaz) par des systèmes fonctionnant au gaz (fossile, renouvelable ou biosourcé). L’autre renvoie au remplacement des installations de cogénération, de production de chaleur seule ou de production d’électricité seule fonctionnant avec un combustible fossile par des installations de cogénération fonctionnant au gaz (fossile ou non).
Plusieurs critères sont énoncés pour intégrer l’objectif d’« atténuation du changement climatique » :
- la nouvelle installation au gaz a, a minima, la même capacité que l’ancienne ;
- l’installation fortement émettrice est mise hors service et la nouvelle installation est en fonction fin 2025 ;
- le remplacement entraîne une réduction des émissions d’au moins 50 % de GES par kWh d’énergie produite ;
- la nouvelle installation est compatible avec du gaz bas carbone ;
- les émissions directes de GES de la nouvelle installation sont inférieures à 270 gCO₂e par kWh d’énergie produite (pour le chauffage urbain : le remplacement de l’installation devrait entraîner une diminution des émissions d’au moins 40 % par kWh d’énergie produite) ;
- il n’existe pas d’alternatives technologiques et économiques à faible émission de carbone et l’installation retirée est située dans l’une des régions en transition.
Pour les centrales électriques au gaz, les critères et les seuils ne changent pas : l’installation doit respecter des émissions inférieures à 100 gCO₂e/kWh, pour se conformer à l’objectif « atténuation du changement climatique ». Elle doit aussi se tenir à un plafond de 270 gCO₂e/kWh pour respecter le « principe d’innocuité », si elle entend répondre à l’un des cinq autres objectifs de la taxonomie. Ces seuils étaient préconisés par le rapport des experts du TEG (Technical Expert Group) sur la taxonomie.
Les ONG et plusieurs eurodéputés craignaient l’impact du lobbying massif des gaziers pour relever ces seuils. C’est finalement par la création d’une catégorie supplémentaire et la prise en compte du rôle du gaz comme « activité de transition » que le secteur a pu s’offrir un accès plus élargi à la taxonomie de Bruxelles.
« La taxonomie européenne était censée être l’étalon-or des investissements verts, mais il semble qu’elle soit en passe de devenir un exercice de greenwashing », a dénoncé Greenpeace, en réaction à la création de ces nouvelles catégories pour le gaz.
2. La place des activités « de transition »
La plus grande intégration – sous conditions – du gaz fossile est la manifestation concrète de la prise en compte renforcée des « activités de transition » dans la taxonomie. C’était l’un des enjeux majeurs des débats qui ont suivi la consultation publique autour du premier projet d’acte délégué. La Commission européenne en prend bonne note, ajoutant à son acte délégué la mention suivante :
« Il convient d’établir des critères de sélection techniques pour les activités économiques pour lesquelles les solutions à émissions de carbone quasi nulles ne sont pas encore viables ou pas encore réalisables à l’échelle, et qui présentent le plus fort potentiel de réduction significative des gaz à effet de serre. »
La Commission s’engage également à réviser, « au moins tous les trois ans », les critères applicables à ces activités, « en particulier, pour les industries à forte intensité de carbone ». L’acte délégué pourra donc être modifié en fonction.
3. D’autres nouvelles entrées
Une nouvelle catégorie a été proposée pour intégrer la fabrication des batteries. Afin de répondre aux objectifs climatiques de la taxonomie, le fabricant doit notamment intégrer la dimension « recyclage » de celles-ci. Le produit doit aussi prouver qu’il permet « des réductions substantielles des émissions de GES » pour son utilisateur final (transport, stockage énergétique, etc.). Il s’agit ici de s’aligner sur les ambitions présentées par la Commission dans sa récente proposition de règlement sur les « batteries », en décembre dernier.
La fabrication d’équipements pour l’électricité (adaptateur pour renouvelables, borne de recharge des véhicules, disjoncteurs et compteurs intelligents, etc.) aurait pu faire partie de cette version révisée des critères (relire notre article). Mais le lobbying du secteur s’est déployé sur le tard.
La Commission se montre toutefois ouverte à la création (future) d’une catégorie spécifique et précise qu’il sera « nécessaire de compléter les critères de sélection [dans ce domaine], dans le prochain acte délégué [prévu pour décembre 2021] », ou dans une prochaine révision de celui sur l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Pour Schneider Electric et les autres, il faudra donc attendre…
4. Révision de certains critères
Parmi les modifications marquantes : les critères encadrant la production d’hydrogène, dont le seuil d’émission passe de 2,256 kgCO₂e/kgH2 à 3 kgCO₂e/kgH2 ; conformément à la directive RED II sur les renouvelables et aux revendications récentes de plusieurs industriels du secteur. La proposition de Bruxelles intègre également à la taxonomie « verte » l’activité de conversion des équipements de stockage souterrain de gaz pour le stockage de l’hydrogène.
L’hydroélectrique voit, lui aussi, les conditions de son intégration à la taxonomie modifiées. D’abord, le stockage par pompage n’est plus intégré aux critères de la production d’énergie par hydroélectricité. Il devra respecter les critères détaillés dans la catégorie « stockage de l’énergie » comme les autres techniques.
Les seuils d’émission et de puissance de l’hydroélectrique ne changent pas par rapport à la première version d’acte délégué. Toutefois, Bruxelles précise que l’activité de la centrale doit se faire « au fil de l’eau » et sans réservoir artificiel. Le principe d’innocuité concernant le respect des autres objectifs, comme la préservation des ressources aquatiques, est également plus détaillé. L’impact écologique de ces centrales est en effet l’un des chevaux de bataille des ONG (relire notre article).
Les critères ont été modifiés, à la marge cette fois, pour la fabrication d’équipements permettant d’améliorer l’efficacité énergétique. Le coefficient de transmission thermique d’une fenêtre, par exemple, a été revu à la hausse. La liste des équipements s’allonge également, intégrant de nouveaux produits, comme les sources lumineuses basse consommation.
Enfin, la définition de l’activité de transport et distribution de l’électricité a été réduite. La mention de la construction et de l’exploitation de « systèmes de distribution d’électricité sur les réseaux haute tension, moyenne tension et basse tension » a été supprimée. Seul le transport d’électricité « sur le réseau interconnecté à très haute tension et à haute tension » est défini.