Retrouvez le programme transports d’Emmanuel Macron décrypté par Contexte.
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Outre les grands enjeux sur lesquels le nouveau gouvernement devra avancer en matière de transports, comme la poursuite des efforts pour l'environnement ou encore la sécurité, il devra commencer ce mandat avec quelques boulets au pied. Tour d'horizon.
Le modèle ferroviaire fragile
- Où en est-on ?
La loi du 4 août 2014 refondant la structure de la SNCF est en vigueur, ses décrets d’application publiés, les contrats décennaux de performance entre l’État et les trois établissements du groupe signés, la règle d’or précisée dans la loi Macron et par décret. Même les négociations sociales ont abouti à des accords de branche et d’entreprise sur le temps de travail…
Sur le papier, la France a donc parachevé la transition de son système ferroviaire pendant le quinquennat, afin d’enrayer son endettement et de le rendre compatible avec l’ouverture à la concurrence.
Mais voilà, le régulateur ne cesse d’émettre des avis défavorables, sur la séparation comptable de SNCF Mobilités, ou encore les tarifs des redevances facturées par SNCF Réseau, car ils ne garantissent pas un accès équitable des entreprises ferroviaires au réseau et services liés. Elle rejette aussi les contrats de performance, pointant l’absence de critères d’évaluation des objectifs du contrat, une trajectoire financière basée sur des hypothèses économiques "peu crédibles" et des actions trop vagues pour gagner en productivité.
Et le gouvernement n’a pas tranché pas sur l’avenir de Gares et Connexions. Le groupe ne peut pas rester dans le giron de SNCF Mobilités en raison du risque jugé élevé d’un traitement non équitable des opérateurs pour l’accès aux gares et à leurs services. Le ministère a remis in extremis son rapport sur la gestion des gares ferroviaires au Sénat, fin avril.
Quant à la dette, elle "ne serait toujours pas stabilisée à la fin du contrat, puisqu’elle continuerait de progresser de 400 millions d'euros par an en 2026", pour atteindre 63 milliards d’euros, explique l’Autorité.
La dette historique de SNCF Réseau provient du transfert d’une majeure partie de la dette de la SNCF à Réseau ferré de France, à sa création en 1997. Soit 20,5 milliards d’euros. La dette du groupe ferroviaire s’établit à 40,8 milliards d’euros en juin 2016.
Impossible de mettre une fois de plus la poussière sous le tapis, pour le nouveau Président français, alors que le quatrième paquet ferroviaire entériné à Bruxelles en décembre 2016 devra être transposé et entrer en vigueur à partir de 2019.
- Ce que veut Emmanuel Macron : consultation, reprise de la dette et quatrième Epic pour la gestion des gares
"Ces sujets doivent être débattus, et je souhaite qu’ils le soient en début de quinquennat", explique Emmanuel Macron dans sa réponse aux questions du laboratoire d’idées spécialisé dans les transports, TDIE. Il prévoit de consulter le Parlement et les acteurs du secteur sur "le meilleur scénario financier et industriel de long terme pour le groupe SNCF d’une part, et pour les finances publiques de l’État d’autre part."
Pendant la campagne, le député PS Arnaud Leroy, référent "transports" d’Emmanuel Macron, a indiqué que ce dernier était "pour la reprise de la dette historique de SNCF Réseau, car c’était une dette d’État".
Concernant les gares, il estime dans le même document pour TDIE que "le meilleur moyen serait sans doute d'« ériger Gares et Connexions en troisième composante du groupe ferroviaire".
Enfin, la règle d’or ne sera pas un dogme, explique le député à Contexte :
"Il faudra tout réévaluer. Il ne faut pas être plus catholique que le pape. L’objectif politique, c’est la mobilité du quotidien. Il faut être sérieux, mais il ne faut pas se planquer derrière la règle d’or. Il y a des grands projets apportant une offre de transports qu’il faudra accompagner. Au sein du Grand Paris, par exemple. Il faut des investissements calibrés."
L’ouverture à la concurrence des TER
- Où en est-on ?
Le règlement européen du 14 décembre 2016 sur "l’ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer" prévoit d’ouvrir ces lignes (y compris les lignes régionales), à partir du 2 décembre 2019. D’ici là, le règlement stipule que les États "s’y conforment progressivement […] afin d'éviter de graves problèmes structurels concernant notamment les capacités de transport."
Le secrétaire d’État aux Transports, Alain Vidalies, avait affirmé qu’il préparerait un projet de loi autorisant cette expérimentation. Ce qui n’a pas été fait avant la fin du mandat. Mais un texte est en cours de préparation au Sénat, sous la houlette de Louis Nègre (LR) et d’Hervé Maurey (UDI). Alors que des auditions sont organisées entre avril et mai, le sénateur LR, qui n’est pas candidat à sa réélection, "espère proposer un texte en juin", avait-il indiqué à Contexte.
Les régions, qui réclament cette possibilité d’expérimenter la concurrence des lignes TER, ont réalisé leurs propres auditions et consultations sur le sujet.
- Ce que veut Emmanuel Macron
M. Macron prévoit "une loi d’organisation de la concurrence" des TER, a précisé Arnaud Leroy, fin mars. Il a estimé qu’une loi d’« expérimentation" serait "une loi de faux-cul", car "on sait qu’on ne va pas revenir sur la concurrence". Dans quels délais cette loi doit-elle intervenir ? : "Il faut aller vite. On sait ce qu’il faut faire", explique-t-il à Contexte.
S’agira-t-il de faire directement une grande réforme ferroviaire qui transposera aussi la nouvelle directive sur la gouvernance du gestionnaire d’infrastructure du quatrième paquet ?
"Ce ne sera pas prévu dans le texte de départ, mais si le sujet survient dans les débats parlementaires, il faudra en discuter. La réforme ferroviaire française ne date que de 2014. On ne va peut-être pas tout réformer tout de suite…", poursuit le député.
Financement des infrastructures : faire oublier l’écotaxe
- Où en est-on ?
Il y a peu de chances pour qu’Emmanuel Macron ressuscite l’écotaxe. Son principal lieutenant, le secrétaire général d’En Marche ! Richard Ferrand, a planté le dernier clou du cercueil en portant l’amendement au projet de loi de finances pour 2017, cosigné par d’autres députés bretons macronistes (Jean-Pierre Le Roch, Gwendal Rouillard, Corinne Erhel, Hervé Pellois…), qui a définitivement enterré le dispositif.
Depuis l’abandon de l’écotaxe poids lourds, une incertitude persistante pèse sur le financement des infrastructures de transport. La loi de finances pour 2017 a prévu 2,2 milliards d’euros de ressources pour l’Agence de financement des infrastructures, l’Afitf. Soit 400 millions de moins que ce que souhaitaient son président, Philippe Duron, et Alain Vidalies. "Les perspectives de dépenses [de l’Afitf], notamment à partir de 2018-2019, laissent entier le problème des possibilités de financement", avait pointé le secrétaire d’État à l’Assemblée nationale, en amont de la discussion budgétaire.
- Ce que veut Emmanuel Macron
Emmanuel Macron est conscient du défi qui l’attend :
"L’absence de priorisation dans le passé va nous poser un problème très immédiat, a-t-il regretté dans sa réponse à TDIE. Le total des engagements déjà pris […] nous place dans une situation de financement difficile."
Priorité à ses yeux : la modernisation des réseaux existants. "L’inauguration de grands ouvrages n’est pas un objectif." L’enveloppe de cinq milliards d’euros de son plan d’investissement sera consacrée à cet effort de régénération ainsi qu’aux "équipements et aménagements d’interconnexion intermodaux."
Il a également prévu de poursuivre le renforcement des contrôles radars, qui apportent des ressources non négligeables à l’Afitf : 400 millions d’euros ont été fléchés vers l’Agence pour 2017. Un chiffre qui pourrait continuer à grossir ces prochaines années.
Le nouveau président a indiqué qu’il conserverait l’Afitf, malgré les critiques de la Cour des comptes, les "investissements de modernisation" n’ayant "pas à être du ressort du Parlement", estime-t-il.
L'Afitf est une "quasi coquille vide", un opérateur "sans feuille de route ni marge de manoeuvre", estime la Cour des comptes dans un référé d'août 2016. Dans son rapport annuel de 2009, la Cour préconisait la suppression pure et simple de l'Agence.
"Je souhaite pérenniser l’affectation de ressources au financement de l’Afitf, et notamment le produit de deux centimes d’euro par litre de TICPE", a-t-il précisé. Il s’est également engagé à "sanctuariser les dotations d’entretien des routes".
Plus globalement, il souhaite donner au financement des infrastructures la visibilité qui a fait défaut jusqu’à maintenant. Le Parlement se verra confier, "après consultation d’un comité ouvert", la production d’une loi de programmation des infrastructures sur cinq ans, adossée à la loi de finances. Ce texte inclura "une visibilité sur cinq années supplémentaires" et détaillera la programmation du financement des grands projets "projet par projet".
En matière de transports collectifs urbains, Emmanuel Macron n’a pas totalement écarté l’hypothèse d’un retour à une TVA à 5,5 % et s’est engagé à ne pas toucher au versement transport. Il a également indiqué qu’il souhaitait poursuivre le soutien de l’État aux projets de transports collectifs en site propre (TCSP) des collectivités, à travers des appels à projets, en précisant qu’il "pourrait être opportun de resserrer les critères d’éligibilité" de ces derniers, en les concentrant notamment sur "la desserte des quartiers en politique de la ville".
Grands projets : stop ou encore ?
- Aéroport de Notre-Dame-des-Landes
Pas très enthousiaste sur le projet, mais désireux de respecter la consultation départementale qui l’a validé, le nouveau président de la République a prévu une énième "médiation" avant de donner le coup d’envoi du chantier. Les opposants, qui comptent des représentants dans l’entourage du nouveau président, vont jeter leurs dernières forces dans la bataille. Lire notre article.
- Les lignes ferroviaires à grande vitesse
La déclaration d’utilité publique des LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax a été publiée en juin 2016. Mais le financement de la ligne Bordeaux-Toulouse n’est toujours pas bouclé. La région Nouvelle-Aquitaine n’ayant pas voté les crédits et l’apparente hostilité du patron de SNCF, Guillaume Pepy, à l'égard du projet ont semé le doute parmi les partisans de l’infrastructure. Début avril, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc (LR), s’est écharpé avec Alain Vidalies (défenseur de longue date du projet). Le premier reprochant au second "une grande passivité" et son silence depuis six mois. Quelques jours plus tard, avec d’autres élus du Sud-Ouest, il a demandé aux candidats à la présidentielle de "confirmer le lancement de la ligne".
M. Macron a d’abord exprimé son scepticisme sur le projet, refusant de "trancher aujourd’hui par électoralisme". Mais dès le lendemain, l’équipe d’En Marche ! a publié un communiqué assurant de son "complet soutien" à la LGV.
Le sort de la LGV Poitiers-Limoges est bien plus incertain. Depuis que le conseil d’État a annulé la déclaration d’utilité publique, en avril 2016, le gouvernement a joué la montre, semblant enterrer le projet sans vraiment le dire. Après plusieurs mois de concertation avec les élus locaux, il a lancé une nouvelle phase de médiation, sous l’égide de Michel Delebarre, afin de plancher sur une solution alternative. Ses conclusions, annoncées pour avril, n’ont toujours pas été dévoilées. Emmanuel Macron n’a pas pris position sur ce dossier.
- Lyon-Turin et canal Seine-Nord Europe
Le nouveau Président n’a pas montré d'ambiguïté sur ces deux projets : il ne les remettra pas en question, a-t-il assuré à plusieurs reprises.
Taxis et VTC : la question sociale et le statut des plateformes
- Où en est-on ?
Le quinquennat Hollande a été marqué par deux textes encadrant le secteur : les lois Thévenoud et Grandguillaume. Mais il se termine sur l’amorçage d’un nouveau chantier législatif : devant l’échec du dialogue entre Uber et certaines organisations syndicales, Alain Vidalies a annoncé que le ministère des Transports travaillerait sur une "piste législative" afin d'établir un salaire minimum pour les chauffeurs employés par les plateformes VTC. Soit la solution de "dernier recours" proposée par le médiateur, Jacques Rapoport, en février.
- Ce que veut Emmanuel Macron
"Je ne suis pas un uberolâtre, au contraire", a protesté Emmanuel Macron sur Médiapart, tentant de se défaire de l'image que lui ont collée ses adversaires. "Ce qui me choque", a-t-il développé, ce n’est pas que les chauffeurs "travaillent parfois 60, 70 heures pour toucher le smic", mais "le fait que leurs employeurs ne paient pas d’impôt en France. C’est un vrai problème contre lequel on doit se battre vis-à-vis d’Uber."
Concernant la situation des chauffeurs, il a toutefois précisé : "Ce qu’il faut faire, c’est leur apporter des protections et qu’il y ait une trajectoire de progrès. Je ne suis pas pour l’ubérisation de la vie économique."
Nul ne sait s’il soutiendra, comme Alain Vidalies, la création d’un salaire minimum pour les chauffeurs indépendants. Il souhaite en revanche supprimer rapidement le régime social des indépendants (RSI), en l’intégrant au régime général de la Sécurité sociale. Il a aussi précisé qu’il ne voulait pas toucher aux barèmes des cotisations du RSI, pour ne pas augmenter les charges dont s’acquittent les indépendants.
Le nouveau locataire de l’Élysée devra en outre surveiller plusieurs décisions judiciaires à venir. Des procédures initiées par l’Urssaf, qui visent à faire reconnaître le lien de subordination entre Uber et certains chauffeurs, sont en cours. La Cour de justice de l’UE doit se prononcer sur deux demandes de décisions préjudicielles. Sur l’une d’entre elles, posée par un tribunal français, elle doit rendre son arrêt le 4 juillet. Pour la seconde, présentée par l’Espagne, les conclusions de l’avocat général sont attendues le 11 mai. La CJUE devra déterminer si la plateforme doit être considérée comme un service de transport ou un simple intermédiaire électronique. Un arbitrage crucial.
Un projet de loi « sur la mobilité et le logement » dans « les 100 premiers jours » d’Emmanuel Macron
Le candidat d’En Marche ! envisage ce texte « à l’automne 2017 pour créer un « choc de logement » permettant des opérations d’intérêt national avec des procédures ultrarapides dans les zones tendues », indique-t-il dans le JDD, le 9 avril. « La politique de logement doit être obligatoirement pensée en lien avec les offres de mobilité », explique le député PS Arnaud Leroy à Contexte. Il s’agira aussi de multiplier « les appels à projets pour les nœuds modaux à proximité des gares », dans le cadre du programme d’investissements d’avenir.
Décrets en souffrance et dossiers à poursuivre
Le nouveau gouvernement devra également s’occuper des textes d’application des lois Grandguillaume et économie bleue encore en souffrance, se pencher sur le dossier de l’ouverture à la concurrence anticipée des bus franciliens, les suites du Dieselgate, la question du financement des gares routières, l’accompagnement du développement du véhicule autonome…