Le président du Parlement européen a tenté de sauver la face. Au dernier moment, dans la soirée du 9 juin, Martin Schulz a annulé le vote de la résolution sur le traité de libre-échange avec les États-Unis.
Sa propre famille politique menaçait de rejeter le texte à cause des tribunaux d'arbitrage privés. Les sociaux-démocrates (S&D, 190 sièges), après avoir un temps accepté un compromis flou (relire notre article) avec le Parti populaire européen (PPE, 220 sièges), ont finalement opté pour une ligne dure, faisant voler en éclat l'alliance avec les conservateurs.
Un coup dur pour Martin Schulz, le calife du Parlement, qui s'est toujours fait l'avocat actif d'une collaboration étroite entre les deux partis les plus importants de l'hémicycle, pour dégager une majorité. Une grande coalition à l'allemande, mais qui ne dirait pas son nom.
“Le G5”
Ce revirement sur le TTIP a provoqué la colère du PPE, qui s'est senti trahi et n’a pas hésité à cibler le chef du groupe S&D, Gianni Pittella.
C'est “un as de médiocrité”, a lancé la française Françoise Grossetête (LR).
L'Italien est accusé de ne pas être capable de tenir ses troupes et de se laisser influencer par les Verts et la gauche radicale (GUE), farouchement opposés au TTIP.
Depuis les élections de mai 2014, les conservateurs considèrent les socialistes comme leur partenaire, même si chacun évite de prononcer le terme de "grande coalition".
Seule trace tangible de cette volonté de coopération active, la tenue d’une réunion mensuelle qui rassemble Pittella, Schulz et Weber, en compagnie du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et de son premier vice-président, Frans Timmermans. Dans cette instance informelle dénommée “le G5”, les cinq dirigeants discutent en amont des dossiers législatifs en cours et cherchent des terrains d’entente.
Programme de la Commission, secret des affaires, sécurité d'approvisionnement... les clash se multiplient
Mais, il est de plus en plus fréquent que les lignes décidées par la direction du S&D ne passent pas auprès de la base. Sur chaque dossier important, les clivages entre socialistes et conservateurs sont forts, alors qu’aucun des deux groupes ne dispose d’une majorité.
Le premier clash a eu lieu en janvier, lors des débats sur le programme de travail 2015 de la Commission européenne. Malgré d’intenses négociations, jusqu’au dernier moment, les groupes ont été incapables de s’entendre et aucune résolution n’a pu être adoptée.
Tout un symbole : les deux grands groupes sont condamnés à gouverner ensemble, mais n’ont pas d’objectif commun.
Les socialistes ont aussi fait mordre la poussière aux conservateurs, au mois de mai, sur la réglementation des minerais issus des zones de conflits en rejetant le compromis conclu avec les États. Mercredi 10 juin, le rapport sur la sécurité énergétique du Letton Algirdas Saudargas a aussi été torpillé en plénière en raison du manque de soutien du S&D.
Un conflit se profile enfin sur la directive sur les droits des actionnaires. Les Verts, soutenus par les sociaux-démocrates et la gauche radicale (GUE) ont déposé un amendement en faveur de la transparence fiscale des grandes entreprises. Tout en affirmant être favorable à la mesure, le PPE estime qu’il faut attendre une initiative de l’exécutif européen pour agir sur la question.
À chaque fois, Martin Schulz tente de ménager la chèvre et le chou. Et s'attire notamment les foudres des Verts, qui l'accusent d'abuser de son pouvoir en interprétant les règles internes de l'institution en sa faveur.
"Dans ces cas-là, je conteste, mais le PPE est trop content d'avoir un allié, et Pittella ne dit jamais rien", lâche le chef de file des écologistes, le Belge Philippe Lamberts.
“Le problème de Schulz, c’est qu’il veut maintenir un rapport privilégié avec Juncker, dans son idée de grande coalition à l’allemande, alors que nous devrions plutôt nous poser la question du rapport de force face à la droite”, considère le socialiste Guillaume Balas.
Vieux souvenirs de Maastricht
Cet état de tension permanent avec le S&D pousse certains conservateurs à plaider pour la fin de la prétendue alliance.
“Jusqu’à présent, quand l’idée est évoquée en interne, Manfred Weber répond qu’il n’existe pas d’alternative”, explique une source haut placée au PPE.
Mais le vieux routier des Républicains, Alain Lamassoure, élu au Parlement européen depuis 16 ans, est plus circonspect.
“Dans les faits, j’ai l’impression qu’on se dirige vers la constitution de majorités alternatives, en fonction des dossiers, un coup nous avec le centre et le groupe des conservateurs britanniques, un coup entre partis de gauche”, explique-t-il.
Chaque vote se jouerait alors à quelques voix, dans un Parlement avec peu de marge de manoeuvre, puisque les extrêmes anti-UE disposent maintenant de plus de 100 voix. Une aubaine pour les Libéraux (ALDE) qui n’ont pas apprécié d'avoir été exclus du fameux G5.
À l’inverse, ce sont les socialistes qui ont le plus à perdre. Éprouvant des difficultés à assumer des compromis alternatifs, les Verts et la GUE jouent souvent le jusqu’au-boutisme. Une situation qui peut conduire l'institution dans une impasse.
“Si le Parlement veut exister dans le débat, il faut pouvoir voter des compromis qui puissent ensuite être défendus, portés. Je me souviens, dans les années 1990, les députés n’arrivaient jamais à rien. Ils n’étaient même pas parvenus à approuver un texte sur le traité de Maastricht !” se rappelle un haut responsable de l’institution.
Mais l'époque a changé. Depuis lors, les élus ont acquis de réelles compétences législatives. Et en cas de désaccord, ce ne sont plus de simples déclarations symboliques qui seront bloquées, mais bien de véritables lois.