« Le cadre n’est pas mauvais, mais la chair manque. On est sur une intention de stratégie, pas une stratégie complète. »
Vice-président et responsable du réseau biodiversité de France nature environnement, Jean-David Abel réagit ainsi au projet de troisième stratégie nationale pour la biodiversité (ci-dessous).
« Délais contraints »
Piloté par Bérangère Abba, il a été transmis le 24 janvier par le ministère de la Transition écologique aux instances de concertation dédiées, après une longue gestation « décentralisée » et plusieurs reports.
À moins de trois mois de l’élection présidentielle, l’échéance est si courte que, dans son message, le ministère de la Transition écologique prie les membres desdites instances de « bien vouloir excuser ces délais contraints ».
Recyclage
Publiées par Contexte, les 26 pages de mesures recyclent un certain nombre d’objectifs déjà annoncés, dont la mise en œuvre est à « poursuivre ». C’est le cas de la stratégie nationale des aires protégées 2030, la labellisation sous « protection forte » des « espaces concernés », la création d’un parc national dédié aux zones humides, ou encore des plans d’action cétacés ou pollinisateurs. Annoncé par Emmanuel Macron lors du Congrès mondial de la nature de Marseille, l’objectif de « protection forte » de 5 % de la Méditerranée en 2027 est lui aussi réitéré.
Ces rappels ne sont « pas nécessairement négatifs », estime Gauthier Carle, coordonnateur des ONG du Comité France océan, groupe de concertation régulier entre l’État, ses établissements publics chargés de la mer et les organisations de protection de l’environnement marin.
Plusieurs demandes de ces ONG figurent d’ailleurs dans le document : feuilles de route ministérielles sur la biodiversité, « déploiement d’une trame marine et littorale » pour connecter le réseau des aires marines protégées, « observatoire de l’éolien en mer » consacré à l’étude de la biodiversité marine. Doté d’un budget de 50 millions d’euros, ce dernier a été annoncé en août dernier par Jean Castex, dans le cadre d’un nouveau projet éolien offshore en Normandie.
Généralité et imprécision
« Ce qui nous interroge, c’est la généralité et l’imprécision des mesures. C’est très incantatoire et pas du tout opérationnel. Que cela va-t-il impliquer en termes de réglementation, de budget ? », s’interroge Gauthier Carle.
En matière de financement, le document mise sur le futur cadre mondial de la biodiversité, qui doit être négocié lors de la prochaine COP15 à Kunming (Chine), déjà reportée deux fois du fait de la crise sanitaire. L’exécutif espère que cet accord international « se traduira par des objectifs de résultats pour la France à la mi-2022 », ce qui permettra de définir un budget lors de « la prochaine loi de programmation des finances publiques ». Une mission qui reviendra, s’ils le veulent bien, à un prochain exécutif et à un nouveau Parlement.
Pas de fiscalité affectée
De manière plus surprenante, le projet de SNB renvoie à un rapport gouvernemental le soin de dresser « un état des lieux des dépenses et des recettes relatives aux politiques d’eau et de biodiversité » qui « proposera des réponses budgétaires ou fiscales ». En septembre dernier, l’exécutif avait laissé entendre que des propositions étaient déjà sur la table, en attente d’un arbitrage gouvernemental. Plusieurs fois évoquée par Emmanuel Macron et Bérangère Abba, la piste d’une fiscalité affectée ne figure pas dans le document.
Par ailleurs, deux dispositions laissent entendre que le projet de stratégie n’est pas réellement finalisé, et qu'il doit encore être complété. Il s’agit de celles consistant à « doter chaque mesure de la SNB de repères chiffrés et d’un jeu d’indicateurs » sur ses impacts, résultats et moyens, et à affecter la mise en œuvre de la stratégie « à des responsables au titre de leurs compétences, ainsi que de leur capacité à agir ».
Sollicité par Contexte sur un calendrier, le cabinet de la secrétaire d’État n’a pas donné suite.
Exploitation minière
Enfin, le projet de stratégie indique vouloir « interdire l’exploitation minière des fonds des aires marines protégées dans les zones de protection forte ». Ce qui laisse entendre que l’exploitation serait possible dans les zones de protection moindre.
« C’est totalement contraire aux critères de l’UICN », pointe Gauthier Carle. Ce que rappelle le comité français de l’Union internationale de la conservation de la nature dans un document (p. 36-37) de 2021. « Une aire marine protégée ne permettrait pas une telle exploitation. »
Publié le 25 janvier en début de soirée, l’agenda de Bérangère Abba prévoit ce 26 janvier à 17 heures une rencontre sur le projet de stratégie avec des associations de protection de la nature.
Le document de cadrage du projet de SNB
Le récapitulatif des mesures du projet de SNB