L’épineuse réforme du droit d’auteur
Notre analyse des propositions d’Emmanuel Macron. Ses réponses au questionnaire Contexte/Renaissance numérique.
La réforme de la directive dite Infosoc est l’un des principaux sujets numériques européens que va devoir gérer le prochain gouvernement. D’autant plus que la France se présente en chef de file pour la protection de la création.
Sur ce dossier, Paris pourrait jouer le rôle d’allié de la Commission. En règle générale, leurs positions sont assez similaires : contrairement à d’autres pays, comme les Pays-Bas, la France soutient la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse et les obligations pour les plateformes. Lors d’un séminaire organisé par la représentation permanente de la France auprès de l’UE, la directrice adjointe de la DG Connect, Claire Bury, a affirmé que la Commission "compt[ait]" sur les Français.
Le gouvernement aurait cependant souhaité aller plus loin dans la responsabilisation des intermédiaires techniques.
La Commission peut avoir besoin du Conseil dans la mesure où le Parlement européen prend, pour l’instant, la direction inverse de sa proposition. La rapporteure, Therese Comodini Cachia (PPE), a supprimé les droits voisins pour les éditeurs et les obligations de filtrage automatique des contenus. "Nous allons assister à des coalitions nationales autant qu’à des rapports de forces entre les groupes", explique une source parlementaire. Les eurodéputés français du PPE, du S&D et de l’ADLE sont sur la même ligne que Paris. Ils ont déjà exprimé leurs désaccords avec le projet de rapport de Therese Comodini Cachia, qui doit être voté en juillet. L’issue des débats parlementaires est incertaine, jugent plusieurs observateurs, et le rapport voté en commission pourrait être très différent de celui qui a été présenté en début d’année.
Paris va devoir compter sans Berlin, souvent un partenaire sur ces questions, au moins jusqu’aux élections allemandes de septembre. L’Allemagne ne s’est pas encore positionnée ni sur la régulation des plateformes, ni sur les droits voisins pour les éditeurs. Elle préfère pour l’instant "rester prudente", explique-t-on au ministère français de la Culture. Par ailleurs, avant de se prononcer sur les droits voisins, Berlin souhaiterait attendre l’issue d’une affaire en cours devant la justice, qui pourrait remettre en cause leur validité dans le pays.
Le volet droit d’auteur du programme d’Emmanuel Macron est dans la continuité des positions françaises. Il évoque dans ses propositions "le partage de valeur", mieux connu à Bruxelles sous le nom de "value gap", et se prononce en faveur d’un droit voisin pour les éditeurs de presse.
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L’urgence du règlement e-privacy
La question du chiffrement pourrait faire une apparition dans le règlement e-privacy, un texte qui vise à soumettre aux mêmes obligations opérateurs télécoms traditionnels et nouveaux entrants (Skype, WhatsApp…). La rapporteure, Marju Lauristin (S&D), a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’est pas question d’utiliser ce règlement pour l’affaiblir. Jan Philipp Albrecht, rapporteur fictif pour les Verts, veut que le chiffrement de bout en bout sans porte dérobée devienne « la règle ».
La question de la rétention des données qui, à l’image du chiffrement, peut être liée à la sécurité nationale, pourrait entrer dans les débats. Dans son rapport annuel, la délégation parlementaire au renseignement demande que la mise en conformité avec l’arrêt Tele2 passe par la révision du texte.
Le calendrier est assez serré : la Commission veut que le texte soit mis en application en même temps que le règlement sur la protection des données, en mai 2018. Les travaux sur le règlement n’ont pas encore réellement commencé au Conseil, qui est pour l’instant occupé avec le code télécoms. "S’il y a une vraie volonté politique, le calendrier peut être tenu par les États", affirme une source diplomatique.
Dans notre questionnaire Contexte/Renaissance numérique, Emmanuel Macron n'a pas répondu à la question sur le souhait ou non d'aligner les obligations des acteurs historiques et des nouveaux entrants.
Notre hub sur le règlement e-privacy
Faut-il légiférer sur la libre circulation des données ?
Pour le moment, la Commission ne s’est toujours pas décidée à légiférer sur la circulation des données. Elle a juste présenté en janvier 2017 une communication où elle s’oppose aux restrictions à la libre circulation des données, comme les obligations non justifiées de localisation. Elle prévoit désormais une initiative en septembre 2017, d’après un projet de communication sur l’examen à mi-parcours du marché unique numérique. Elle ne précise cependant pas les modalités exactes de cette initiative.
Si certains États membres – comme le Danemark ou le Royaume-Uni – et le secteur privé demandent depuis plusieurs mois un règlement, la France, par la voix d’Axelle Lemaire, l’ancienne secrétaire d’État en charge du Numérique, a fait savoir son opposition. Elle privilégiait plutôt un système de certification, une approche qui aurait aussi la faveur de l’Espagne et de l’Italie. Elle s’opposait aussi à ce que la Commission puisse contraindre la non-localisation de certains types de données.
L’Allemagne penche, elle, pour une harmonisation des règles européennes. Un changement de majorité pourrait modifier la position de l’Allemagne.
Un dialogue structuré sur la libre circulation des données entre la Commission et les États membres a débuté fin février et se poursuit.
Dans sa réponse à notre questionnaire, Emmanuel Macron semble pencher pour une légifération, mais sa position reste floue : « Le transfert de données est un enjeu essentiel pour les entreprises dans la nouvelle économie numérique. Ce transfert doit toutefois pouvoir être encadré, pour assurer la protection des données personnelles ou pour des raisons de sécurité nationale. Le principe de libre circulation doit donc s’accompagner d’un droit à réguler. »
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Le serpent de mer de l’affaiblissement du chiffrement
L’affaiblissement du chiffrement fait partie des moyens évoqués pour renforcer la lutte contre le terrorisme. La question renvoie à celle, plus large, des outils mis à disposition dans le cadre de cette lutte. Lors du quinquennat Hollande, le sujet a donné lieu à des passes d’armes entre l’Intérieur, qui y est favorable, et la secrétaire d’État au Numérique, Axelle Lemaire, très opposée. Le CNNum et l’Anssi ont aussi manifesté leur opposition. Récemment, les ministres de l’Intérieur français et allemand ont appelé à une initiative législative en octobre 2017 pour « donner les moyens juridiques aux autorités européennes afin de tenir compte de la généralisation du chiffrement des communications par voie électronique lors d’enquêtes judiciaires et administratives ». Dans ce cadre, les fournisseurs de services de communications électroniques pourraient avoir de nouvelles obligations.
En commission Libertés civiles du Parlement européen, les deux ministres ont demandé un accès aux données chiffrées des messageries OTT.
Le nouveau président, Emmanuel Macron, s’est emmêlé les pédales sur le sujet pendant la campagne. Il avait dû clarifier sa position, déjà indiquée à Contexte dans notre questionnaire : « Il est évident que nous n’inviterons jamais à un affaiblissement du chiffrement. Il s’agira au contraire de généraliser auprès des TPE et PME, les meilleures pratiques de protection de leurs données essentielles. »
Le futur ministre de l’Intérieur s’inscrira-t-il dans la lignée de ses prédécesseurs pour pousser une initiative législative cet automne ?
Fiscalité : les Gafa en ligne de mire
Depuis 2013, la Commission européenne tente de faire accepter aux États une définition commune de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, pour limiter les possibilités d’optimisation fiscale agressive. Elle a remis une nouvelle proposition sur la table à l’automne 2016, toujours en discussion.
Avec l’arrivée de Jean-Claude Juncker à la tête de l’exécutif et les révélations des Luxleaks qui ont suivi, la fiscalité est devenue une des priorités politiques. Mais dans ce domaine, toutes les décisions se prennent à l’unanimité.
Dans son programme, Emmanuel Macron plaide pour "une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé dans nos pays pour des prestations de service électronique", manière d’évoquer une meilleure taxation des géants comme Facebook, Google ou Amazon. "Pour éviter les effets de double taxation pour les entreprises européennes et françaises qui sont, elles, ensuite soumises à l’impôt sur les sociétés, cette taxe prélevée devrait être in fine déductible.", a-t-il précisé dans le questionnaire Contexte / Renaissance numérique.
Le sujet est aussi en réflexion à Bruxelles, même si en tant que tel, l’UE n’a pas de compétences fiscales. Elle ne peut que proposer une harmonisation fiscale, qui doit être adoptée à l’unanimité au Conseil. À moins qu’une coopération renforcée soit lancée par un petit groupe de pays (au moins 9).
Et sinon
La révision de la directive audiovisuel
La révision de la directive audiovisuel pourrait atterrir sur la table du prochain gouvernement. Les ministres sont supposés adopter leur position le 23 mai lors du Conseil culture, mais si la présidence maltaise ne parvient pas à présenter d’ici là un compromis qui convienne à tous les États membres, le calendrier sera retardé. La France devra alors continuer à défendre sa position au sein du Conseil, jusqu’à la prochaine réunion des ministres de la Culture, en novembre.
Emmanuel Macron, dans ses réponses à notre questionnaire, est sur la même position que la France de François Hollande, notamment sur les obligations de financement pour les nouveaux acteurs. Si ce n’est qu’il propose 50 % d’œuvres européennes dans les catalogues en ligne là où Audrey Azoulay a défendu un quota de 40 %.
Le Brexit
Enfin, le président devra garder également un œil sur les négociations du Brexit. Concernant le numérique, les données seront un enjeu de taille, car les entreprises britanniques sur le sol français devront respecter le règlement européen sur leur protection. Par ailleurs, des accords devront être mis en place concernant l’échange de données dans le cadre de la coopération judiciaire.
Il y a également un enjeu d'attractivité, Paris espérant attirer des start-up, en particulier dans la fintech, que les incertitudes liées au Brexit auraient fait fuir. Un créneau sur lequel Berlin se positionne aussi.