Comme annoncé le 13 octobre lors de la présentation du plan d’investissement France 2030, Emmanuel Macron va se prononcer « dans les semaines qui viennent […] sur l’opportunité de construire de nouveaux réacteurs [nucléaires] et sur la stratégie » à adopter.
Pour prendre sa décision, le Président va s’appuyer notamment sur l’étude « Futurs énergétiques 2050 » exposée en grande pompe le 25 octobre par RTE (relire notre article) et sur un rapport de l’administration consacré aux coûts du nouveau nucléaire. Contexte publie une version de travail de ce dernier. Le rapport officiel sera rendu public « dans quelques jours ou quelques semaines », a annoncé la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, lors d’une conférence de presse le 26 octobre.
Intitulé « Travaux relatifs au nouveau nucléaire PPE 2019 – 2028 » et daté d’octobre, le document a été rédigé conjointement par le ministère de la Transition écologique et Bercy, même si la plume était tenue principalement par la Direction générale de l’énergie et du climat. Il fait le point sur les « coûts, opportunités, risques et calendriers » du programme qui vise à installer six réacteurs nucléaires en France.
Et sur ces divers aspects, les auteurs se montrent nettement plus prudents que les différents travaux menés jusqu’ici, notamment en termes de calendriers.
Première paire « au plus tôt en 2040 »
Dans un document de septembre 2020 (relire notre article), la Direction générale du Trésor tablait par exemple sur une mise en service des trois paires de réacteurs nucléaires en 2035 – 2036, 2039 – 2040 et 2043 – 2044. Dans les « Futurs énergétiques 2050 », RTE indique bien avoir pris l’hypothèse d’une mise en service de la première paire en 2035, pour élaborer ses scénarios censés alimenter le débat.
Pourtant, dans le rapport de travail, l’administration estime que « les perspectives de date de mise en service d’un premier EPR2 restent incertaines » et table sur un couplage au réseau qui « aurait lieu vraisemblablement au plus tôt en 2040 » dans un scénario de « relative maîtrise industrielle ». Les deux autres paires seraient mises en service entre 2043 et 2045, puis entre 2047 et 2049.
À la lumière de ce document, la question de la caducité des scénarios fraîchement dévoilés par RTE se pose, même si de potentielles dérives de coûts et de délais de mise en service de ces nouveaux EPR ont fait l’objet de « stress tests » dans les hypothèses du gestionnaire de réseau de transport d’électricité. Selon les informations de Contexte, la version officielle du rapport gouvernemental devrait néanmoins être plus optimiste en termes de calendrier.
Plusieurs raisons justifient les projections pessimistes du document de travail.
Par exemple, la saisine de la Commission nationale du débat public, prévue par EDF en mars 2021, « n’a pas encore eu lieu ». Selon les informations de Contexte, elle pourrait même ne pas intervenir avant septembre 2022.
Les auteurs estiment que la phase de conception des réacteurs « durerait vraisemblablement plus de cinq ans compte tenu des enjeux de préparation de la filière » et de « l’effort d’ingénierie qu’il reste à produire ». Ils ajoutent qu’une durée de construction de 105 mois « apparaît difficilement accessible » à cause des durées de construction des deux réacteurs chinois de Taishan – 110 et 113 mois – malgré un contexte de construction « particulièrement dynamique » dans le pays.
Le rapport note enfin que « les réacteurs mis en service en France entre 1996 et 1999 ont été construits en 153 mois pour le premier (le plus long) et en 105 mois pour le quatrième (le plus rapide), l’EPR2 étant un réacteur par ailleurs plus sophistiqué et plus puissant que les réacteurs de deuxième génération ».
Dans un scénario « plus dégradé », l’exécutif envisage une mise en service de la première paire à l’horizon 2042 – 2043, voire après 2045 dans un scénario « fortement dégradé ». Les paires suivantes seraient couplées au réseau entre 2046 et 2051.
Hausse de coût de 13 %
L’estimation de la facture totale pour la construction des six réacteurs (hors coûts financiers) est également revue à la hausse.
Entre début 2020 (date de remise des conclusions du premier audit commandé) et mars 2021, celui-ci est passé de 46 milliards d’euros à une fourchette entre 52 et 57 milliards dans un scénario de « bonne maîtrise industrielle ». Soit une hausse de 13 %, imputée par l’électricien au génie civil et à la réalisation de l’îlot nucléaire et à « l’ampleur des travaux de préparation de site ». Le coût atteint même 64 milliards dans un scénario « plus dégradé ».
Cette hausse est qualifiée de « zone d’ombre » et pourrait refléter « un biais dans la méthodologie de chiffrage », selon les auteurs.
Ils estiment que le chiffrage du programme ne peut donc être considéré comme définitif et reste soumis à la levée de plusieurs incertitudes, dont certaines pourraient avoir des effets « importants ». Ils s’attendent à ce qu’EDF « franchi[sse] une étape importante dans le chiffrage » d’ici fin 2022.
Des risques ignorés
Le rapport relève également qu’EDF ne s’est pas penché sur certains risques de surcoûts.
Les conséquences de recours juridiques ou de « troubles à l’ordre public » perturbant la réalisation des chantiers pourraient coûter très cher. « Une année de retard sur une tranche coûterait de l’ordre de 100 millions d’euros avant l’enclenchement du chantier puis 600 millions en phase de réalisation. »
Les auteurs citent également la détection tardive d’écarts sur les fabrications, comme sur le chantier de l’EPR de Flamanville, les événements climatiques, météorologiques ou pandémiques, ou encore les évolutions probables de l’inflation, du coût du travail et des matières premières.
Par ailleurs, ils accueillent avec précaution la promesse d’EDF qu’un engagement sur trois paires d’EPR2 permettrait de faire des économies par « effet de série ». Ils notent qu’un « recouvrement entre les chantiers des paires successives peut conduire à ce qu’un défaut de fabrication qui ne serait pas détecté rapidement ait un impact multiplié d’autant plus qu’il y a de réacteurs commandés ».