C’est un pari à plusieurs centaines de millions d’euros que fait EDF.
Alors que la décision de lancer un programme de nouveau nucléaire est toujours conditionnée au démarrage de l’EPR de Flamanville, la reportant de fait à l’après-présidentielle de 2022, l’électricien avance de son côté, au cas où.
Le projet de construction de six réacteurs nucléaires EPR2, souvent présenté comme une « option sans regret » par le patron d’EDF, Jean-Bernard Lévy, est bien avancé, selon un document interne de 141 pages – dont Contexte publie la synthèse. Celui-ci a fait l’objet d’une communication auprès du Comité des engagements du comité exécutif (Ceceg) du groupe le 14 juin 2021.
Pour implanter ces hypothétiques futurs réacteurs, EDF a retenu les sites de Gravelines et Penly pour les deux premières paires. Tricastin et Bugey sont en concurrence pour la troisième.
Début du premier chantier en 2023
L’électricien, qui a envoyé début 2021 à l’Autorité de sûreté nucléaire son rapport préliminaire de sûreté, indique avoir finalisé son avant-projet détaillé (« basic design »). Il a aussi sécurisé le choix de son partenaire industriel pour le groupe turbo-alternateur pour les trois paires du programme. Il précise néanmoins que « seul le contrat génie civil principal reste à finaliser » et projette une signature du marché au quatrième trimestre 2022.
La « première feuille de route » étant terminée, le projet « se tourne désormais vers la sécurisation du premier béton ».
Pour la suite, EDF se fixe plusieurs objectifs : envoi de la demande d’autorisation de création en septembre 2022, accélération des passations de marchés et sécurisation de la déclinaison du plan Excell de remise à niveau de la filière nucléaire, préparation de l’ouverture du chantier du premier site prévue en 2023, ou encore sécurisation des deux autres sites du programme.
Depuis le début du projet, sur la période allant du 1ᵉʳ janvier 2018 au 1ᵉʳ juillet 2021, l’ensemble des dépenses est estimé à 545 millions d’euros.
Près de deux milliards d’appels d’offres
EDF veut engager, pour 2022, 195 millions d’euros de « dépenses développement interne » et signer pour un total de 435,85 millions d’euros de contrats. Ce montant recouvre par exemple 120 millions d’euros pour des « études détaillées de génie civil », 75 millions concernent des vannes, et 44,8 millions des pompes et moteurs (voir le détail dans le document).
L’entreprise souhaite également lancer pour un total de 1,886 milliard d’euros d’appels d’offres. Ils concernent entre autres les diesels, les portes et grilles sécuritaires, ou encore l’aménagement des sites.
Contacté par Contexte sur ces dépenses, Bercy n’a pas souhaité faire de commentaires. Le ministère de la Transition écologique indique, quant à lui, ne pas avoir ce document, précisant qu’« il s’agit nécessairement de travaux préparatoires, la décision n’étant pas prise avant 2023 ».
Dans son document, l’énergéticien précise par ailleurs que l’exposition financière du projet, qui correspond au risque pour EDF, s’élèvera à 1,254 milliard d’euros à fin 2022. Il donne également une estimation du coût de construction d’une paire de réacteurs, arrivant après Flamanville 3, la tête de série. Hors provision pour démantèlement, le montant est estimé entre 3 711 euros et 3 978 euros par kW « suivant le scénario de couverture des risques retenu ».
Le coût de production complet de l’énergie (LCOE) serait alors compris entre 76,5 euros et 82,50 euros par MWh.
Un portage à 100 % par EDF ?
En parallèle, un groupe de travail réunissant EDF, la Direction générale de l’énergie et du climat, l’Agence des participations de l’État, la Direction générale du Trésor, la Direction du budget et la Direction générale des entreprises, réfléchit aux modes de financement possibles de ce très gros projet.
En septembre 2020, l’électricien et les administrations de Bercy et du ministère de la Transition écologique tablaient sur un devis global de 47,2 milliards d’euros pour la construction des trois paires d’EPR2 d’ici à 2044, et avaient esquissé plusieurs montages financiers possibles. Tous reposaient sur une « importante intervention de l’État ». L’un des scénarios envisageait même la piste d’une prise en charge à 100 %.
Relire notre article : Info Contexte – Les scénarios de l’État pour financer six nouveaux réacteurs nucléaires.
Dans un document confidentiel de Bercy daté du 10 juin 2021, que Contexte publie, le groupe de travail (GT) propose au cabinet du Premier ministre de se pencher également sur des scénarios « sans subvention de la part de l’État, et permettant si possible de réduire le coût du capital du projet ».
Une famille de scénarios « A » vise un portage du programme en totalité par le groupe EDF SA actuel. Une famille de scénarios « B » envisage la création d’un Fonds commun de créances (SPV) dont seraient actionnaires l’État et EDF SA (ou l’entité EDF bleu, qui serait issue du projet de restructuration du groupe).
Interrogé, Bercy confirme que « le groupe de travail examine un panel d’options », mais dément que ce nouveau scénario de financement intégral par EDF soit lié à une éventuelle réforme du groupe, qui lui permettrait de retrouver une meilleure santé financière.
Dans le document, le GT précise que ces scénarios devront notamment tenir compte « des ressources propres, de l’apport éventuel de capital par des investisseurs tiers ou des modalités de financement impactant la trajectoire d’endettement d’EDF », et des « modalités possibles d’investissement en fonds propres de la part de l’État actionnaire ».
Ils seront évalués selon plusieurs critères, dont le prix de la régulation pour le consommateur et la collectivité, mais aussi au regard de leurs conséquences sur la notation d’EDF sur les marchés financiers, de leur qualification éventuelle d’aide d’État par Bruxelles, ou encore de l’incitation d’EDF à la maîtrise des coûts.
Ce nouveau périmètre devrait décaler à octobre, au lieu de mi-2021, la remise du rapport de l’administration sur le financement du projet du programme « nouveau nucléaire », prévue par la programmation pluriannuelle de l’énergie (page 163).
En attendant les « futurs énergétiques » de RTE
Par ailleurs, le groupe de travail propose la détermination d’une « métrique » permettant de comparer les scénarios, du point de vue de la collectivité.
En plus des dépenses supportées par le consommateur et des coûts portés par l’État, qui étaient déjà comparés dans l’étude de septembre 2020, les analyses seront complétées par les éventuelles variations des recettes de l’État, et par des variantes sur les modalités de paiement du financement public et de portage de la régulation.
Tous ces travaux seront présentés en milliards d’euros, mais le GT ne fournira pas d’analyse du coût du nouveau nucléaire français en euros par MWh. « Les travaux relatifs au choix du mix électrique nécessitent de tenir compte des coûts annexes (réseaux, flexibilité) et ne peuvent être exprimés en euros par MWh », justifie-t-il.
Il s’en remet ainsi aux travaux menés par RTE, qui publiera à l’automne « des estimations des coûts liés à un système électrique global, pour différents mix électriques cohérents » dans le cadre de son étude « Futurs énergétiques 2050 ».
Relire notre article : RTE voit un avenir avec beaucoup de renouvelables, quelle que soit la place du nucléaire.
Les coûts associés au nouveau nucléaire seront transmis au gestionnaire de réseau afin que « l’analyse soit la plus complète possible ».