Caramba, encore raté. À la veille de ce super trilogue commencé le 25 mai, les équipes dédiées voulaient y croire, tant du côté du Parlement que du Conseil. Mais quatre jours de négociations intenses n’auront pas suffi. Le « jumbo trilogue » sur les trois textes de la réforme de la PAC s’est soldé par un « no deal » retentissant le 28 mai au matin.
Des langues différentes et pas d’interprète
« Il faut que le Conseil nous respecte en tant que colégislateur ! », s’est indigné le président de la commission Agriculture du Parlement, Norbert Lins (PPE), en conférence de presse le 28 mai, une fois l’échec constaté. Le Parlement n’a pas digéré la proposition du Conseil formulée la veille vers 20 heures, après plusieurs heures de négociations entre ministres (relire notre brève). « Une négociation ne peut fonctionner que si chacun fait un pas vers l’autre et là, le Conseil colle à sa position première ! », déplorait un assistant parlementaire interrogé par Contexte juste après la diffusion du texte.
Ce qui a fait le plus de bruit : un budget des éco-schemes cloisonné à 25 % sur toute la période – ce que le Parlement était prêt à accepter – mais avec une possibilité de descendre à 18 % si l’État ne parvient pas à consommer ces fonds. Une proposition jugée inacceptable par les parlementaires, considérée comme encore en deçà du mandat initial du Conseil, à 20 %.
Le Conseil resserre les rangs
Sauf qu’en retour, c’est une offre jugée tout aussi « inacceptable » que les eurodéputés ont faite au Conseil en fin de soirée le 27 mai (relire notre brève).
« Je n’ai jamais vu cela, décrit une source ministérielle experte de ce type de négociations. Tous les États membres se sont interrogés sur la volonté du Parlement européen de négocier. »
À tel point que l’annonce au Conseil le 28 mai du « no deal » par sa présidente, Maria do Céu Antunes, est accueillie par une salve d’applaudissements des ministres. Là aussi, du « jamais-vu » selon cette source et une preuve de plus de l’abîme qui sépare les deux institutions.
Cet expert fait du traitement par le Parlement de la proposition du Conseil sur la conditionnalité sociale, sujet hautement symbolique pour les eurodéputés, un autre marqueur de l’incompréhension entre les deux institutions. Le texte a émergé quelques jours avant le jumbo trilogue, à la suite d'un intense travail de négociation mené par la présidence du Conseil – avec la France, notamment – pour convaincre des ministres pas du tout favorables au principe (relire notre brève).
« C’était un pas énorme pour le Conseil, or on a eu l’impression que pour le Parlement, maintenant, c’était bon, on allait pouvoir passer au reste. »
Le Parlement lassé par la méthode de travail
« Nous avons besoin de discussions sur le fond, d’échanger des arguments », a expliqué pour sa part Norbert Lins en conférence de presse le 28 mai. De fait, côté Parlement, nombreux sont ceux qui déplorent l’absence de dialogue entre les institutions. « La présidence portugaise est revenue en salle de négociation avec un compromis inacceptable et sans marge de manœuvre pour négocier. Qu’espérait-elle ? Bien sûr que les négociations n’ont pas duré longtemps », expliquait une source parlementaire au sortir de la courte séance de trilogue du 27 mai au soir.
Plusieurs membres des équipes de négociation regrettent que la présidence du Conseil n’ait pas accepté de poursuivre les négociations dans un format restreint, pour s’accorder sur un texte commun plutôt que de communiquer par propositions écrites interposées. « Nous avons demandé un groupe de travail sur les règles de la conditionnalité, s’il n’est pas constitué, nous interromprons les négociations », prévenait l’un de ces membres, interrogé par Contexte dans la nuit du 27 au 28 mai. Le Conseil a décliné l’offre.
La Commission ne joue pas son rôle d’arbitre
Et dans cette situation crispée, la Commission n’a pas joué son rôle d’« honnête courtier », comme l’a dénoncé le ministre espagnol de l’Agriculture, Luis Planas (relire notre brève). Dans ce round de négociations, elle a rejoint le camp du Parlement, pour défendre le verdissement de la PAC et les objectifs du Green Deal. Le commissaire à l’Agriculture Janusz Wojciechowski l’a reconnu en conférence de presse le 28 mai :
« La Commission ne peut jamais être complètement neutre, nous avons des objectifs à atteindre. »
Lors de la dernière session du trilogue organisée le matin même, le vice-président exécutif de la Commission Frans Timmermans a vivement critiqué le Conseil, pour soutenir le Parlement, racontent plusieurs sources présentes. D’après l’une d’entre elles, c’est lui, et non le commissaire à l’Agriculture Janusz Wojciechowski, qui était consulté lors des échanges.
Un compromis dans l’air
« Dans un premier temps, il faudra rétablir la confiance », a estimé Norbert Lins, jugeant qu’un « temps d’arrêt » serait nécessaire pour poursuivre les négociations. En conférence de presse le 28 mai, les rapporteurs des trois textes se sont montrés plus positifs. « Le compromis est là, il flotte dans l’air, il suffit juste de l’attraper », a ainsi décrit le rapporteur du règlement sur les plans stratégiques, l’Allemand Peter Jahr. En France, le ministre de l’Agriculture compte bien se remettre au travail dès la semaine prochaine, selon son cabinet.
Et au-delà du désaccord théâtral, un certain nombre de points ont tout de même avancé (relire notre dataviz). Reste à organiser le travail. La présidence portugaise retrouvera les délégations nationales le 31 mai pour un Comité spécial agriculture. Des réunions informelles sont déjà prévues avec le Parlement, a ajouté la ministre Maria do Céu Antunes en conférence de presse. Une source parlementaire espère un changement de format pour améliorer la communication entre les institutions. Elle prévient :
« Sans cela, il y a des chances que l’incompréhension se répète. »