Un immense gâchis. C’est le sentiment qui domine dans les rangs, aussi bien de la majorité que de l’opposition. Le 10 juillet, après deux heures d’échanges, les parlementaires ont fini par acter l’échec de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi d’orientation des mobilités.
Pourtant, pendant des mois, l’hypothèse d’une issue positive a prédominé. Mais, dans la dernière ligne droite, les voyants sont progressivement passés au rouge, avant la déconvenue finale. Une issue précipitée par la volonté du président du groupe LR du Sénat de faire obstacle à un accord, soulignent certains, et par l’attitude désinvolte du gouvernement, estiment les autres.
Un consensus se dessinait
Rien ou presque ne destinait pourtant les deux chambres à se retrouver dans une voie sans issue. Au fil de l’examen du texte, des portes de sortie consensuelles se sont toujours ouvertes, y compris sur les sujets clivants – 80 km/h, responsabilité sociale des plateformes, programmation des infrastructures, libéralisation du transport urbain francilien, fin des ventes des véhicules thermiques… Et le rapporteur au Sénat Didier Mandelli (LR) ne cessait de clamer son désir d’aboutir à une CMP conclusive.
« Tout le monde – ce qui est assez rare – a reconnu la qualité du travail de l’autre assemblée, du dialogue entre les rapporteurs, et une vraie volonté d’aboutir », souligne le président de la commission du Développement durable de l’Assemblée, Hervé Maurey (UC).
« Toutes les conditions étaient réunies pour parvenir à un accord », abonde la ministre Élisabeth Borne.
Le financement, premier et dernier motif de blocage
Toutes, sauf une. En chantier jusqu’à la dernière minute, le volet financement a été l’épine dans le pied de la majorité. Les sénateurs refusaient d’entériner la programmation des infrastructures et l’octroi de nouvelles compétences aux collectivités sans ressources clairement affectées.
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À l’issue de l’examen du texte à l’Assemblée, les sénateurs ont conditionné leur accord à un engagement écrit du gouvernement sur le financement. Ledit engagement est bien arrivé. Mais juste avant la CMP, ne laissant que très peu de temps aux ultimes négociations, déplorent les parlementaires de l’opposition. Et son contenu n’a pas suscité l’adhésion escomptée par l’exécutif.
C'est d'abord le cocktail proposé pour le financement des infrastructures qui n’a pas convaincu tout le monde. Par la voix de la députée Valérie Lacroute, le groupe LR à l’Assemblée déplore qu’une contribution du transport aérien soit mise sur la table sans que le sujet n’ait été réellement débattu dans les hémicycles.
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La TVA, un « coup de bonneteau » de dernière minute
Mais c’est surtout la solution proposée pour le financement de la compétence mobilité des intercommunalités qui a semé la pagaille. « On apprend par un courrier du Premier ministre sur la LOM que le gouvernement prépare une réforme de la fiscalité locale… », ironise Hervé Maurey. En réalité, la volonté de l'exécutif de substituer à la taxe d’habitation perçue par les collectivités une part de TVA, était connue (l'article de Contexte Pouvoirs). Mais la proposition d’Edouard Philippe de flécher cette recette vers le financement de la compétence mobilité est tombée comme un cheveu sur la soupe.
« Le gouvernement a fait un coup de bonneteau sur la TVA », commente Loïc Prud’homme (LFI), membre suppléant de la CMP. « On dit aux collectivités : 'Avec la même recette vous payez toutes les factures de la maison…' »
Loin de dénouer l’ultime point de blocage entre les deux assemblées, le dispositif tardivement exposé par le gouvernement a jeté de l’huile sur le feu. Et l’ultime courrier d’Élisabeth Borne, envoyé aux membres de la CMP quelques heures avant la réunion, n’a pas convaincu les réfractaires.
Un compromis sur la table de la CMP
En arrivant à la réunion à 16h30, les parlementaires savaient donc tous, déjà, que la commission mixte paritaire était mal engagée. Si certains étaient convaincus que l’échec serait acté en quelques minutes, d’autres se voulaient plus optimistes et combatifs. Les sénateurs n’ont pas immédiatement accordé une fin de non-recevoir et la discussion générale s’est engagée.
Bérangère Abba (LRM), rapporteure de la programmation des infrastructures, explique avoir alors « compris que le courrier du Premier ministre laissait craindre aux sénateurs qu’on s’enferme dans une solution [la TVA, ndlr], alors que rien n’était figé ». Les députés LRM ont alors proposé d’insérer dans le texte le « principe » d’un « financement incitatif » au bénéfice des autorités organisatrices, évoqué par Élisabeth Borne dans son courrier (que Contexte a consulté), en renvoyant l’arbitrage final au projet de loi de finances. « Cela correspondait à une ébauche de proposition des sénateurs », assure Bérangère Abba.
« Les LR étaient tous prêts individuellement à toper sur le compromis présenté. Et puis il y a eu cet appel à Retailleau… » relate le sénateur socialiste Olivier Jacquin. Hervé Maurey confirme qu’il y avait une ouverture : « C’était une voie possible, même si on restait sur du déclaratif ».
Bruno Retailleau désigné comme responsable
Pour arrêter une position collective, mais surtout pour s’assurer du soutien du président de leur groupe Bruno Retailleau, les sénateurs ont demandé une suspension de séance. Fait rare lors d’une CMP, ils se sont réunis dans une salle attenante tandis que Didier Mandelli contactait le président du groupe LR au Sénat. Lorsqu’ils sont revenus dans la salle, l’échec a été acté immédiatement.
Pour les parlementaires LRM, le responsable est donc tout trouvé.
« Nous étions tous prêts à aboutir à une rédaction de compromis, y compris les parlementaires LR. Il y a eu un refus net de Bruno Retailleau. Ce sont les affres de la politique politicienne. À chacun maintenant de prendre ses responsabilités », cingle Barbara Pompili, présidente de la commission Développement durable (LRM).
« De la petite politique »
Le sénateur LRM Frédéric Marchand se dit « affligé » : « Quand Bruno Retailleau a parlé, c’était fini. Alors qu’il ne sait même pas ce qu’est la LOM, on ne l’a jamais vu assister à nos débats ». Même son de cloche chez les responsables LRM du texte à l’Assemblée, Damien Pichereau et Jean-Marc Zulesi. Le premier se dit « déçu et en colère » : « Un texte qui satisfait trois quarts des Français est pris en otage par un président de groupe qui dit « pas question d’aboutir ». On était prêts à avancer, mais peu importe tout ce qu’on aurait pu faire, la CMP aurait échoué de toute façon ».
Le second résume leur dépit : « C’est la politique comme on n’aime pas la voir », qui traduit un « manque de respect vis-à-vis du travail entre les rapporteurs et de la concertation lors des Assises de la mobilité ».
Ce sentiment est partagé au-delà des rangs de la République en marche. « Ça a été de la petite politique », estime la sénatrice centriste Michèle Vullien.
Interrogé sur cette volée de bois vert contre le président de son groupe, le rapporteur LR du Sénat Didier Mandelli ne veut pas se désolidariser. « C’était la position de la majorité sénatoriale. Moi je suis rapporteur, je n’ai pas d’état d’âme » explique-t-il. « Les députés ont fait un super boulot, et ça s’est bien passé avec eux et chacun des rapporteurs », commente-t-il, avant de concéder :
« Mais il y a des points qui nous échappent, et parfois des enjeux politiques qui nous dépassent ».
Et maintenant ?
Une nouvelle lecture du projet de loi va être engagée. Elle démarrera à l’Assemblée. Impossible de l’insérer dans la session extraordinaire estivale, estiment les députés interrogés par Contexte. Ce sera donc au programme de la rentrée, confirme Élisabeth Borne dans un communiqué. En parallèle, les débats sur le projet de loi de finances 2020, qui doit entériner les ressources fiscales affectées aux infrastructures et aux collectivités, se poursuivront. Les deux textes seront donc intriqués, ravivant le motif de division des deux assemblées. Le groupe de travail de l’Assemblée sur le financement des transports, qui ne s’est réuni qu’une fois, « va perdurer », indique Bérangère Abba. Et peut-être, conduire le Parlement à faire modifier les arbitrages du gouvernement, suggère-t-elle.