À l’Assemblée nationale, on a tout de suite reconnu sa patte dans la réforme des institutions. « J’ai été étonné de ne pas lire la signature de Marc Guillaume en bas de la copie du gouvernement », ironise un collaborateur. Un conseiller ministériel sous la précédente mandature abonde : « C’est du Marc Guillaume tout craché. Je peux en témoigner, je l’ai pratiqué sur une révision constitutionnelle… qui a eu le succès que nous savons ». Initiée par François Hollande, la réforme a été enterrée en 2016.
Intraçable – sa signature n'apparaît jamais – et inconnu du grand public, le secrétaire général du gouvernement (SGG) n'en est pas moins l'un des personnages les plus puissants de l'État. Tenir la plume de ce texte présenté par le Premier ministre au nom du président de la République est bien l'une de ses nombreuses fonctions. Mais les observateurs lui attribuent, au-delà de la forme juridique, le fond "politique" du projet de loi. En clair, des mesures affaiblissant le pouvoir législatif. Ce qui rappelle les vieilles lunes de la haute fonction publique, laquelle s'est "autoconstruit le scénario selon lequel le Parlement est responsable de tous les dysfonctionnements", analyse un député. Et Marc Guillaume est un représentant éminent de cette technostructure.
Très haut fonctionnaire
Le gouvernement souhaite ainsi raccourcir la procédure parlementaire, notamment en multipliant les motifs de censure a priori des amendements et en créant une possibilité d’examen des textes en « super-priorité ». Relire notre article : Une réforme institutionnelle au seul bénéfice de l’exécutif
Énarque (promotion Victor Hugo, 1989-1991) sorti au Conseil d’État, il devient secrétaire général du Conseil constitutionnel à 42 ans, après une carrière entre autres au ministère de la Justice. En 2015, le Premier ministre Manuel Valls le nomme secrétaire général du gouvernement. Son ancien élève à Sciences Po Édouard Philippe le garde à Matignon en 2017. Avec le directeur de cabinet Benoît Ribadeau-Dumas, ils forment un trio de conseillers d'État à la tête du gouvernement. Survivant du "spoil system" annoncé par Emmanuel Macron « eu égard à ses qualités professionnelles dans l’exercice de ses fonctions » (Élysée), Marc Guillaume incarne la continuité de l'État. D'autant plus qu'il est aussi fils du conseiller d'État Gilbert Guillaume, ancien juge et président à la Cour internationale de justice de La Haye.
Admirateurs ou détracteurs, tous louent sa compétence. "En deux ans, nous n’avons eu aucun problème d’ampleur devant le Conseil constitutionnel", se félicite Valérie Bédague, directrice de cabinet de Manuel Valls de 2014 à 2016. « Les 80 % de décrets d’application pris dans les six mois, on les lui doit », juge un autre membre de ce cabinet. "Il ne néglige rien, sa régularité est absolue. C’est un contrôle qualité qu’on apprécie ou pas. En tout cas, son boulot est de mettre de l’huile dans les rouages. Et ça ne grince pas."
Le secrétaire général du gouvernement
À la tête d’une équipe d’une centaine d’agents, le SGG assure le secrétariat du Conseil des ministres et de la plupart des réunions interministérielles (les fameuses « RIM »). Il s’occupe des études d’impact sur les projets de loi, suit la procédure législative, fait la liaison avec le Conseil constitutionnel en cas de saisine et veille à la publication des textes législatifs et réglementaires (décrets d’application). Il dirige aussi l’ensemble des services dépendant du Premier ministre, comme la Direction de l’information légale et administrative (Dila).
Maire du palais
Mais comme beaucoup de hauts fonctionnaires, Marc Guillaume juge que le texte qui sort du Conseil des ministres pour être examiné au Parlement est déjà parfait. Et que les parlementaires n'ont pas à mettre leur nez dans les décrets d'application. Certains interlocuteurs vont jusqu'à dire qu'il "méprise" les politiques. "Il estime que le politique est illégitime et que c'est l'administration, et plus particulièrement le Conseil d'État, qui assure la permanence de l'État", analyse un conseiller qui l'a côtoyé à Matignon.
"La manière dont il exerce son rôle est à l’opposé de la transparence démocratique et du respect du politique", assène une ancienne ministre. Et de poursuivre : "Un article de loi qu’il désapprouverait n’aurait aucune chance de survie". Car Marc Guillaume n'hésite pas à sortir de son rôle de conseiller juridique du Premier ministre pour présider – à la place du directeur de cabinet – les réunions interministérielles (RIM) et émettre un avis sur l'opportunité politique des textes. "Quand le pouvoir au-dessus de lui est faible, il devient le maire du palais" [les chefs des serviteurs du palais sous les Mérovingiens, ndlr], résume un ancien "Sage". Et cela s'est vu tant au secrétariat général du Conseil constitutionnel qu'au secrétariat général du gouvernement.
« Si vous êtes d’accord avec lui, tout se passe bien. Mais dans le cas contraire, il vous met une pression d’enfer », explique l'ancien juge de la rue de Montpensier, qui le décrit comme "brutal dans ses relations humaines, même s'il peut être charmant et plein d'humour". D’ailleurs, les directeurs des affaires juridiques ne prennent pas le risque de s’opposer à lui. Ils savent bien que leur ministre durera moins longtemps que Marc Guillaume et que grâce à ses relais au Conseil d'État, il tient leur carrière. « Une main de fer dans un gant de fer », résume un parlementaire qui a eu affaire à lui.
Un député de la précédente législature se souvient d’un appel matinal pour l’inviter à renoncer à porter un amendement. « Il m’a très gentiment expliqué qu’il risquait d’y avoir un problème constitutionnel. J’ai bien compris qu’il me faisait savoir qu’il trouverait le moyen d’avoir raison par un autre moyen. Et la disposition a été censurée au Conseil… Évidemment je n’ai pas la preuve matérielle que c’est de son fait. »
En tout cas, Marc Guillaume est resté proche du Conseil constitutionnel, où il a piloté le service juridique sous la houlette du président Jean-Louis Debré. Là encore, le fonctionnement interne lui donnait un grand pouvoir. Les membres sont dans la main du secrétaire général, puisqu'ils n'ont ni cabinets ni ressources propres pour rédiger leurs rapports et statuer sur les textes qui leur sont présentés. Pendant huit ans, c’est-à-dire la totalité de l’ère Debré, Marc Guillaume a choisi pour le président du Conseil constitutionnel à quel rapporteur il confiait tel dossier. « Selon ce qu’il supposait qu’il pensait » juge l’un d’entre eux. Cruel, un ancien Sage avance : « Debré était une nullité intellectuelle. Sans Marc Guillaume, il n’aurait rien été. »
Un pied dans tous les cercles du pouvoir
Beaucoup d'autres personnes lui doivent sinon leur stature, du moins leur place. Marc Guillaume est obsédé par le positionnement de son grand corps d'origine : « Il est devenu le DRH du Conseil d’État, persifle un assistant parlementaire, il place les conseillers un peu partout. C’est un réflexe au Palais-Royal de l’appeler quand on cherche un poste ». Placé dans une tour de contrôle de l'État, Marc Guillaume auditionne tous les candidats que le gouvernement envisage de nommer en Conseil des ministres – c’est-à-dire rien de moins que les préfets, les directeurs d’administrations centrales, les ambassadeurs…
Les réseaux de Marc Guillaume ne se cantonnent pas à la fonction publique. Le SGG appartient au club du Siècle, dont le dîner mensuel rassemble les élites politico-économiques françaises. Présent au conseil d’administration de Sciences Po, il est aussi co-directeur de la revue Pouvoirs. Il a également présidé la commission « Constitution et Institutions » du Club des juristes, think tank fondé en 2007 et financé par des cabinets d’avocats et des entreprises privées. Marc Guillaume était aussi très proche du constitutionnaliste Guy Carcassonne (mort en 2013), auteur de nombreuses « portes étroites », avec qui il a co-écrit « La Constitution introduite et commentée.
Les "portes étroites" devant le Conseil constitutionnel
Il s'agit des contributions déposées au Conseil constitutionnel par des acteurs de la société civile lors du contrôle de constitutionnalité de la loi. Lire le rapport du Club des juristes et l'enquête de Mediapart.
« Tout le monde sait » que Marc Guillaume sera le prochain vice-président du Conseil d’État, quand il quittera le SGG. Sans doute dès que Bruno Lasserre, qui vient de remplacer Jean-Marc Sauvé à la tête de la plus haute juridiction de l’ordre administratif, sera touché par la limite d’âge. C’est-à-dire en 2022. « Curieuse conception que cette vice-présidence par intérim », note-on, tant le fait semble certain. Quand ils ne sont pas placardisés au Centre Pompidou, comme Serge Lasvignes, le prédécesseur de Marc Guillaume, les SGG finissent naturellement leur carrière à la tête du Conseil d'État. Outre Jean-Marc Sauvé, Marceau Long et Renaud Denoix de Saint Marc ont ouvert la voie.
Curriculum vitæ
1987-1989 : Sciences Po
1989-1991 : ENA, promotion Victor Hugo
1991-1994 : auditeur au Conseil d’État
1994 : maître des requêtes au Conseil d’État
1996-1997 : directeur des affaires juridiques du ministère de la Défense
1997-2007 : directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice
2007-2015 : secrétaire général du Conseil constitutionnel
depuis 2015 : secrétaire général du gouvernement