Elle est la "femme mystère". Toujours dans le champ de la caméra, lors de la séance des questions au gouvernement, on ne sait pourtant pas qui elle est.
À l’occasion de la rentrée parlementaire, Contexte publie plusieurs articles sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Retrouvez les autres articles, mis en ligne au fur et à mesure, au cours de ces 15 jours.
Entrée à l’Assemblée nationale en 1975, Corinne Luquiens est secrétaire générale de la présidence de l’Assemblée nationale depuis 2010. À ce titre, elle dirige les services législatifs du Palais Bourbon et assiste aux débats dans l’hémicycle, en alternance avec le directeur général des services législatifs et le directeur du service de la séance.
Quel est votre rôle précis lors des séances publiques ?
La situation est très différente selon les séances. Pendant les questions au gouvernement, qui sont télévisées, le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone dirige les débats. Comme il maîtrise bien l’exercice, très cadré, mon rôle se limite à suivre les échanges, parfois houleux, et à veiller à ce qu’aucun incident ne se produise dans l’hémicycle ou les tribunes du public.
Lors des débats législatifs, en particulier au moment de la discussion des amendements, mon rôle est, en revanche, bien différent. Je mets à jour le "dossier du président" et le conseille en cas d’incident de séance ou sur une question de procédure inhabituelle.
Que trouve-t-on dans ce "dossier du président" ?
Il est préparé, en amont, par les fonctionnaires du service de la séance, avec l’ensemble des amendements, dans l’ordre de discussion, ainsi que la liste des orateurs inscrits.
Il y a toujours des modifications de dernière minute, il faut donc souvent l’actualiser depuis le plateau, l’espace situé derrière le perchoir.
Les changements d’orateurs ne posent pas de problème, contrairement aux modifications d'amendements.
Nous devons vérifier s’ils s’insèrent bien dans le déroulé de séance, sont financièrement recevables, et surtout, s’ils ne font pas « tomber », c’est-à-dire disparaître, d’autres amendements.
C’est souvent le cas. Les modifications de dernière minute apportées par le gouvernement ou le rapporteur étant le fruit de négociations, qui tentent de faire la synthèse d’amendements qui ne seront donc pas discutés si le compromis est adopté. Il faut tout indiquer au président, en modifiant le déroulé la séance qui a pourtant déjà commencé.
Vous avez également un rôle de conseil et de soutien technique. Que faites-vous concrètement ?
J'assiste le président de séance sur tous les incidents qui peuvent se produire : du chahut, à la contestation sur le déroulement des débats et des votes, jusqu'au malaise dans l’hémicycle. Ce qui est arrivé à un député socialiste, lors du premier discours de Claude Bartolone comme président de l’Assemblée nationale.
La bibliothèque des "précédents"
C’est assez déstabilisant, car totalement inattendu. J'ai expliqué au Président les procédures à suivre dans ce cas, qui visent à permettre l’évacuation, au plus vite, de la personne malade, en évitant que ses collègues ne se groupent autour de lui.
Dès qu’une question se pose, j’indique au Président les dispositions réglementaires qui s’appliquent et les solutions apportées, dans le passé, à des incidents similaires. Nous avons une collection de "précédents", où sont répertoriés tous les incidents ou faits inhabituels qui se sont produits en séance. Ils remplissent une bibliothèque entière de l’Assemblée…
Mais c’est la responsabilité du président de décider ce qu’il fait face à l’incident, c’est lui qui est sur le fauteuil, pas moi.
Quelles sont les situations les plus spectaculaires auxquelles vous avez assisté ?
Lors des débats de la loi sur le mariage pour tous, nous avons eu toute la batterie des incidents possibles et imaginables et ne sommes pas passés loin d’un affrontement physique. Heureusement, le président, qui a une autorité supérieure à celle des vice-présidents, du fait même de sa fonction, était lui-même au perchoir tout au long de l’examen du texte.
Les cas de violence physique dans l’hémicycle sont rarissimes. Ils sont surtout le fait de personnalités "spéciales". Je me souviens d’une séance de nuit, où un député s’était installé à la tribune, et ne voulait plus en descendre.
Pendant longtemps, il y a eu des incidents de type "point Godwin" : il y avait toujours un moment, quand le débat s’échauffait, où une allusion à la période de l’Occupation fusait, provoquant immédiatement un incident. J’ai le souvenir d'un échange très vif dans l’hémicycle en 1986, lorsque Charles Pasqua alors ministre de l'Intérieur, a mis en doute les actions de Roland Dumas dans la Résistance. Nous n'avons plus ce genre de passe d'armes aujourd’hui.
Le tabouret en velours rouge, appelé "miséricorde", est utilisé par la secrétaire générale de l'Assemblée pour chaque conversation avec le président de séance.
Quelles relations entretenez-vous avec les différents présidents de séance ?
Il faut s’adapter à chacun d’entre eux, en faisant preuve de tact et de psychologie. Certains aiment que l’on soit auprès d'eux, et souhaiteraient presque que je reste toute la séance, assise sur le petit siège appelé « la miséricorde », juste à côté du perchoir.
D’autres, au contraire, ne souhaitent pas être assistés de manière trop ostensible. Dans ce cas, je me fais la plus discrète possible.
Certains lisent, au mot près, ce qu’on leur suggère, d’autres improvisent. C’est la liberté de la présidence. C’est le principe même des relations entre députés et fonctionnaires, nous tenons la plume, mais ce sont les parlementaires qui écrivent et décident. Nous n’avons pas un rôle de gardien du Temple.
Quelles sont vos relations avec les autres « acteurs » de la séance publique comme le gouvernement ou les groupes politiques ?
Je discute en permanence avec les représentants du gouvernement, la commission (les représentants des commissions parlementaires, ndlr), et les collaborateurs des groupes. Je dois être en mesure d’informer le président de séance, afin qu’il puisse prendre ses décisions.
L’horaire de fin d’une séance de nuit, qui est une question récurrente, suscite des demandes parfois contradictoires des uns et des autres. Un ministre qui a un agenda chargé le lendemain matin souhaite ne pas veiller trop tard. À l’inverse, quand le groupe majoritaire constate qu’il est en nombre dans l’hémicycle, il souhaite continuer le plus tard possible, car il n’est pas certain d’avoir autant de députés présents le lendemain.
Nous avons une relation de confiance avec les groupes parlementaires, qui nous parlent franchement. L’opposition trouve parfois un intérêt à nous prévenir quand une discussion risque d’être animée, et qu’elle compte utiliser des procédures peu fréquentes - comme la motion référendaire -, afin que nous soyons prêts. Les députés de la majorité ou de l’opposition me demandent aussi des conseils sur la procédure.
Quel est votre rôle en amont de la séance ?
Le service de la séance prépare l’ordre du jour, en lien étroit avec le ministère des Relations avec le Parlement, qui est notre interlocuteur habituel. Nous l’avons plusieurs fois par jour au téléphone.
Il faut absolument une relation fluide, car nous avons mutuellement besoin d’informations, parfois en temps réel. Lorsque nous constatons, par exemple, qu’un débat traîne et risque de ne pas être terminé dans les délais, nous les prévenons. Car il faut prévoir une séance supplémentaire, modifier l’ordre du jour, et donc s’assurer que le ministre qui défend le texte pourra être présent.
Nous devons également anticiper l’ambiance des séances, à partir d’informations qui nous arrivent de divers canaux. Nos contacts avec les groupes, ou encore les travaux en commission, nous permettent d’avoir une bonne idée des sujets qui feront débat en séance publique.