Cette fois, ça y est. Les ministres de l’Énergie de l’UE sont parvenus à s’entendre le 19 décembre sur un plafonnement du prix du gaz en Europe à partir du 15 février 2023. Il peut encore être tué dans l’œuf si les autorités financières sonnent l’alerte d’ici là.
Les chefs d’État et de gouvernement n’avaient laissé aucune échappatoire quelques jours auparavant, au sommet du 15 décembre : pas question de tergiverser plus longtemps, il fallait un accord le 19.
« Le résultat de nombreuses discussions tendues entre les États », commente la commissaire à l’Énergie, Kadri Simson, à l’issue de la réunion. La fin d’une « séquence épique », souffle un autre participant, soulignant l'intensité des quatre semaines de négociation – depuis la présentation de sa proposition par la Commission le 22 novembre –, qui se sont poursuivies jusque dans le week-end.
Pour en arriver là, il a fallu désamorcer le « dialogue de sourds » – parole de diplomate – qui s’était installé entre « ceux qui veulent tout, tout de suite » et ceux qui ne voulaient pas y aller par crainte des conséquences. En route, le compromis a perdu le soutien de la Hongrie (qui a voté contre), des Néerlandais et des Autrichiens, qui se sont abstenus. Eux craignent que le plafond déstabilise les marchés financiers et décourage les fournisseurs de gaz de livrer l’Union.
« Nous aurions dû avoir une étude d’impact avant de lancer le mécanisme de plafonnement », regrette le ministre néerlandais Rob Jetten en sortant de la réunion.
Mais l’Allemagne, premier représentant des « antiplafonnement », est rentrée dans le rang. Robert Habeck, ministre de l’Économie et du Climat, a accepté de soutenir le compromis à condition de rouvrir très partiellement un autre texte – sur l’accélération des projets renouvelables. Un simple jeu de négociation, selon plusieurs participants. « Le ministre savait qu’il était en minorité et ne bloquerait pas le plafond du gaz, donc cet amendement [au règlement sur les ENR] est une manière de ramener quelque chose à Berlin, de dire “On n’a pas tout perdu” », commente un diplomate. Un marchandage proposé à la dernière minute, la veille du Conseil, a appris Contexte.
L’Allemagne a demandé d’exempter d’autorisation environnementale certains travaux sur les réseaux dans le règlement d’urgence accélérant la délivrance de permis aux ENR adopté le 19 décembre.
180/35, les chiffres clés
L’Allemagne dans la poche, le « deal » a pu être scellé. Et celui-ci prend la forme d’un mécanisme de plafonnement qui se déclenchera automatiquement dès que les prix des contrats TTF, la plateforme d’échanges néerlandaise qui fait office de référence en Europe, s’envolent durant trois jours consécutifs au-delà de 180 euros/MWh. Et si, simultanément, la différence avec le cours moyen du gaz naturel liquéfié (GNL) sur les marchés mondiaux est supérieure à 35 euros.
Le plafond sera alors fixé :
- Soit à 180 euros
- Soit au prix moyen du GNL plus 35 euros
L’option choisie sera celle permettant le plafond le plus élevé. Si la combinaison prix « GNL + 35 euros » atteint par exemple 220 euros, alors le plafond sera bien de 220 euros. De même, si l’ensemble prix « GNL + 35 euros » est par exemple égal à 150 euros, c’est un plafond de 180 euros qui s’appliquera.
Une fois le mécanisme déclenché, il restera en place pendant au moins vingt jours ouvrables. Mais si le prix de référence du GNL est inférieur à 145 euros/MWh pendant trois jours consécutifs, il sera désactivé - en clair si le prix de référence GNL + 35 est inférieur à 180 euros (145 + 35).
Il s’agit donc d’un plafond « dynamique », élément exigé par de nombreuses délégations pour pouvoir tenir compte de l’évolution des prix mondiaux du GNL, notamment sur les marchés asiatiques. L’idée est de garantir que les fournisseurs de gaz ne se détournent pas du marché européen au profit d’autres plus offrants.
Interventionnisme
Loin du plafonnement général réclamé par une quinzaine d’États, le mécanisme n’en entérine donc pas moins le principe d’une intervention sur les marchés, ce qui semblait encore impossible il y a quelques mois.
Mais il ne permettra pas de faire baisser les prix structurellement élevés du gaz et encore moins d’avoir un impact direct sur les factures. « Il n’a pas cette vocation », reconnaît un diplomate en aparté. En revanche, il doit éviter des envolées spectaculaires, comme celles de l’été 2022, quand les cours flirtaient avec les 350 euros/MWh. L’UE restera ainsi arrimée aux prix mondiaux du GNL, manière d’éviter qu’elle ne paie son gaz (beaucoup) plus cher que le reste du monde.
Le périmètre
Ce mécanisme s’appliquera à tous les contrats du TTF dont l’échéance varie entre un mois et un an. Englober ceux à échéance plus courte aurait multiplié les « risques » de déclenchement au vu de la volatilité de ce type de transactions.
Nouveauté de dernière minute : les contrats liés aux autres hubs gaziers européens seront automatiquement inclus à partir du 31 mars prochain, sauf en cas de décision contraire de la Commission. Le moyen d’éviter que les traders se rabattent sur d’autres marchés, signant la mort du TTF, seul indicateur de marché en euro.
Les contrats de gré à gré (dits « over the counter »), eux, ne seront pas concernés. Ils pourront donc toujours être passés à n’importe quel prix, même au-dessus du plafond. Un gage pour la sécurité d’approvisionnement, espèrent les États, puisque les acteurs des marchés pourront toujours se replier sur ces transactions si les prix plafonnés ne conviennent pas.
Un mécanisme sous haute surveillance
« Le mécanisme adopté […] s’accompagne d’un ensemble de garanties encore plus solides » que ne le proposait la Commission fin novembre, admet Kadri Simson. Dans les dernières heures de négociation, les clauses de suspension ont notamment été renforcées pour pouvoir rectifier le tir rapidement si des effets indésirables sont constatés.
Le plafonnement pourra, entre autres, être suspendu en cas d’urgence sur le front de l’approvisionnement, d’augmentation de la consommation de gaz ou encore de fort ralentissement des transactions sur le hub TTF.
Des « sécurités importantes qui ont pu être concrétisées par le compromis final », se réjouit Robert Habeck.
Le risque de déstabilisation des marchés financiers sera particulièrement scruté. « Il est difficile de déterminer a priori les conséquences de certains choix. On n’a jamais fait ça », soufflait ainsi un diplomate en amont du Conseil.
Garantie ultime : si ce risque est avéré, le mécanisme pourrait être suspendu ou, tout simplement, ne pas voir le jour. Un rapport des régulateurs européens de l’énergie (Acer) et de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) est attendu d’ici le 23 janvier pour évaluer ce risque. « La Commission est prête à suspendre ex ante l’activation du mécanisme si une analyse de la banque centrale [et d’autres autorités] montre que les risques l’emportent sur les avantages », assène même la commissaire Simson.