Négocié depuis plusieurs mois, voté le 31 mai en conseil d’administration de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies* (FNCCR), avant d’être signé par la fédération, Enedis et EDF, puis présenté en grande pompe à la presse le 5 juillet…
*Un tweet de l’ancien sénateur socialiste et vice-président de la FNCCR, Jean Besson, a immortalisé ce moment.
Tel devait être le scénario idéal pour le nouveau modèle de contrat de concession du réseau de distribution électrique, dont la déclinaison locale aurait progressivement suivi. Mais le report de sa signature à une date ultérieure et son torpillage en règle par France urbaine le 4 juillet ont compromis ce bon déroulement.
L’association qui réunit les grandes intercommunalités urbaines a affirmé « son désaccord » sur l’épais document de 135 pages, annexes comprises, transmis au compte-gouttes aux acteurs du secteur et numéroté pour éviter les fuites, mais que Contexte a pu consulter.
Nombreux griefs
Le renoncement des collectivités aux provisions pour renouvellement du réseau constitue le volet le plus explosif du projet. Si elles signaient ce contrat en l’état, les autorités concédantes s’assiéraient sur le stock de 9,1 milliards d’euros, selon le bilan comptable 2016 d’Enedis, provisionnés par le gestionnaire de réseau pour le renouvellement des équipements du réseau.
Le document prévoit que « les passifs relatifs aux ouvrages concédés existants dans la comptabilité du concessionnaire à la date d’effet du présent contrat, constitués au titre du contrat précédent, qui représentent les droits de l’autorité concédante sur ces ouvrages, sont maintenus à cette date ».
Un recul par rapport au cahier des charges actuel (art. 31-A), qui prévoit qu’« en cas de renouvellement de la concession », l'excédent des provisions pour renouveler le réseau « sera remis à l'autorité concédante ». Une disposition également contraire à la décision (considérant 7) du Conseil d’État de novembre 2012 annulant le tarif d'utilisation de réseau dit « Turpe 3 ». La plus haute juridiction administrative y écrit qu’à la fin du contrat, les provisions non consommées qu’Enedis a constituées pour le renouvellement du réseau sont reversées « gratuitement » à la collectivité.
Par ailleurs, cette mesure s’ajouterait à la fin de l’obligation pour Enedis de procéder à des dotations aux provisions pour renouvellement, prévue par le projet de cahier des charges. Ce gel, autre recul par rapport au cahier des charges en vigueur, permettrait au gestionnaire de réseau de ne pas avoir à constituer 200 millions d’euros de provisions nouvelles chaque année.
Ne pas affaiblir EDF
Signés dans la première moitié des années 1990, les contrats de concession aujourd’hui en vigueur arrivent progressivement à échéance.
Faire renoncer les collectivités à récupérer ces provisions « est l’une des arrière-pensées premières du nouveau cahier des charges », observe Christian Escallier, directeur général du cabinet Michel Klopfer.
«Le montant des provisions n'est plus en trésorerie chez Enedis, mais profite à EDF », en étant « réallouées au financement d'autres investissements » du gestionnaire du réseau de distribution, comme Linky, « afin de ne pas recourir à la dette », décrypte ce spécialiste des finances locales des collectivités.
Enedis étant consolidé dans les comptes du groupe EDF, l'enjeu est de ne pas aggraver les ratios d'endettement du groupe.
Reverser l’équivalent du coût d’un réacteur du projet Hinkley Point C aux collectivités affaiblirait encore plus l’électricien public, au moment où l’État, actionnaire à 83,1 %, achève sa coûteuse recapitalisation.
Ce point met en colère les acteurs du secteur qu’a contactés Contexte, dont l’un d’eux commente :
« Que l’on convoque une conférence de presse où l’on dirait : EDF est en difficulté, les collectivités doivent faire un effort, là, je comprendrais. Or ce projet de cahier des charges revient à cela, mais en catimini. Cela me choque. »
Une fin de contrat coûteuse
Autre grief : l’impossibilité de mettre fin au contrat sans un coût exorbitant pour la collectivité concédante.
Le concessionnaire devra non seulement dédommager Enedis de ses financements non amortis, totalisant 22 milliards au niveau national, auxquels s'ajoutera le dédommagement des intérêts du portage de cet investissement. Ceux-ci sont pourtant déjà couverts par le Turpe au taux généreux de 8,6 %, et passeront à 6,7 % au 1er août avec l’entrée en vigueur du nouveau tarif de réseau dit « Turpe 5 ».
L’indemnité est calculée en fonction du « montant non amorti de sa participation au financement des ouvrages de la concession, tel qu’il résultera de la comptabilité du concessionnaire, réévalué par référence au TMO », selon le projet de cahier des charges. Le taux moyen de rendement des emprunts obligataires est un indice de l’Insee correspondant à la moyenne des douze derniers taux moyens mensuels de rendement au règlement des emprunts garantis par l’État.
« En moyenne, cela multiplie par 1,5 à 2 l'indemnité de sortie », a calculé Christian Escallier.
Pour l'heure, cette situation n'est que théorique, puisque sortir du contrat de concession est, aujourd’hui, juridiquement impossible, Enedis détenant le monopole de la distribution sur 95 % du territoire. Un sujet d’ailleurs absent du paquet « Énergie propre » proposé par la Commission en novembre 2016. Mais aucun observateur n’imagine que la situation reste en l’état à moyen terme, notamment sous l’impulsion européenne.
Le gestionnaire du réseau de distribution cherche donc à « verrouiller » le plus longtemps possible les futurs contrats. C’est ainsi qu’est lue par beaucoup « la durée de la concession
[…] normalement comprise entre 25 et 30 ans », recommandée par le projet de cahier des charges.
Une durée longue pour de nombreux acteurs, au regard d’un secteur particulièrement mouvant.
« Les durées proposées par Enedis n’ont pas de sens aujourd’hui. Nous étions plutôt sur douze à quinze ans. Il y aura des négociations locales sur le sujet », tempère Philippe Angotti, délégué adjoint de France urbaine.
Faibles contreparties
En échange de ces dispositions favorables à Enedis, le projet de cahier des charges octroie deux compensations aux collectivités.
La première consiste en une hausse des redevances annuelles qui leur sont versées par le GRD, passant de 250 à 285 millions d’euros au niveau national, selon les informations de Contexte.
Mais localement, la répartition de ce plus gros gâteau ne fait pas l’affaire de tous.
« Pour notre syndicat, la redevance passerait d’environ six millions d’euros par an à la moitié de cette somme », déplore Michel Sergent, président de la fédération départementale d'énergie du Pas-de-Calais (FDE62).
Il explique cette baisse par l’introduction d’une mesure défavorable aux syndicats urbains et favorable aux ruraux : le plafonnement à deux euros par habitant des dépenses d’investissement relatives à la transition énergétique, dans le calcul de la redevance.
L’annexe 1 de l'actuel cahier des charges (art. 23-B) indique que ces dépenses d’investissement, qui ne concernaient alors que l’éclairage public, n’étaient pas plafonnées.
Le responsable s’est par conséquent opposé, tout comme le Syndicat intercommunal pour le gaz et l'électricité en Île-de-France (Sigeif), à l’adoption du nouveau modèle de contrat, lors du conseil d’administration de la FNCCR du 31 mai.
La deuxième compensation consisterait en l’introduction de schémas directeurs de long terme et de programmes pluriannuels et annuels d’investissement (PPI) au contrat. Ils sont censés permettre la planification des travaux, "comprenant le renouvellement des ouvrages
[…] jusqu’au terme normal de la concession", selon le contrat, et sont assortis d’un mécanisme de pénalité.
Si "certains investissements relevant de la maîtrise d’ouvrage du GRD […] n’ont pas été réalisés", l’autorité concédante peut "enjoindre ce dernier de déposer […] une somme équivalente à 7 % de l’évaluation financière des investissements restant à réaliser", précise le projet de contrat. La somme est restituée si les travaux ont été réalisés "dans un délai de deux ans".
« Innovation contractuelle »
Dans un communiqué du 6 juillet, la FNCCR a salué cette "innovation contractuelle majeure", tandis que d’autres parties prenantes des négociations, comme France urbaine, jugent la disposition insuffisante.
"Le système de suivi et de contrôle de la situation économique de la concession et des engagements financiers d'Enedis est insuffisant, de même que le dispositif de pénalités, insuffisamment incitatif pour qu'Enedis respecte ses engagements techniques et financiers", a écrit l’association.
France urbaine a appelé ses membres à "ne pas signer le contrat de concession en l'état" et devrait reprendre les négociations avec le GRD à "la fin du mois d’août 2017", précise Philippe Angotti.
Contacté par Contexte, Enedis n'a pas souhaité réagir.