Momentum. En langage onusien, l’expression est le pendant du slogan de la campagne présidentielle socialiste française de 2012, “le changement, c’est maintenant”. Utilisé à toutes les sauces dans le cadre de la COP, ce mot désigne l’incroyable impulsion, le puissant élan de bonnes volontés qui seraient à l’œuvre pour parvenir à un bon accord de Paris ne demandant qu’à endiguer à 2°C le réchauffement planétaire.
En physique mécanique, le mot désigne aussi la quantité de mouvement d’un objet. Au troisième jour des négociations, c’est, semble-t-il, ce deuxième sens qui semble l’emporter. Au Bourget, il y a jusqu’à présent beaucoup d’agitation, pour peu de résultats.
Les négociations n’en finissent plus d’avancer
Les groupes de travail (“spin offs“), qui ont duré jusqu’à tard dans la soirée, n’ont pas donné lieu aux avancées espérées sur le projet d’accord de Paris. Dans leurs bilans, présentés lors d’une grande réunion le soir, les diplomates “facilateurs“, chargés de piloter les travaux sur les différents volets de l’accord, ont quasi unanimement déploré la “lenteur des progrès”.
Une situation qui a poussé le président de la COP21, Laurent Fabius, à appeler les négociateurs à accélérer, pour tenir l’objectif de départ d’arriver à “un texte avec un nombre limité d’options“ d’ici samedi 5 décembre à midi.
“Si nous continuons à ce rythme, je ne vois pas comment c’est possible“, a-t-il insisté, devant une salle comble.
L’Algérien Ahmed Djoghlaf, l’un des deux coprésidents de l’ADP, groupe chargé de préparer l'accord, a souligné la nécessité d’un “changement majeur“ pour tenir ce délai.
L’Union européenne inquiète
Un accord peu ambitieux est en vue, craint l'Union européenne, si un texte trop complexe est soumis aux ministres qui se réunissent la semaine prochaine pour trancher.
“Nous ne pouvons pas tout laisser aux ministres”, a ainsi martelé la cheffe de la délégation européenne, Elina Bardram, lors d’une conférence de presse l’après-midi.
À la fin de la journée d'hier, le secrétariat de la Ccnucc (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques) a été chargé de préparer un texte qui résume le peu de progrès. Ce document sera soumis aux gouvernements ce matin du 3 décembre, avant d’être discuté par l’ensemble des diplomates.
La présidence française de la COP21 lance également, dès le 3 décembre, des consultations sur le déroulement de la deuxième semaine ministérielle. Elles sont menées par deux ambassadeurs, Philippe Lacoste et François Delattre, avec l’aide de l’ancien secrétaire exécutif de la Ccnucc Michael Zammit Cutajar.
La distraction remplace la négociation
Autour des négociations, place à la distraction. Les multiples activités et annonces annexes à la COP “donnent l'impression que quelque chose se passe”, estime Pierre Cannet, responsable du programme climat et énergie au WWF France.
Les annonces sur le prix du carbone, l'alliance photovoltaïque, la Galerie des solutions, inaugurée le 2 décembre au matin par Laurent Fabius, les espaces Générations climat, inaugurés la veille par François Hollande et Ségolène Royal, sont autant de lieux produisant beaucoup d’événements, de conférences, brassant de la foule. Mais ils deviennent in fine le centre des attentions.
Même les garants de l’ambition du futur accord - Christiana Figueres ou Laurent Fabius - ont accordé très peu de place au coeur des négociations, lors de leur conférence de presse hier.
“L’importante impulsion politique du premier jour (Relire notre Livre de bord - Jour 1) ne se retrouve pas dans les négociations”, reprend Alix Mazounie, chargée des politiques Internationales du Réseau action climat-France. Il s'agit "toujours des mêmes points de blocage", dont, en tête de ceux-ci, le financement.
“Il y a encore un défaut de financement et une absence de visibilité pour l'après-2020 qui empêchent les négociations d'avancer, de renforcer la confiance et de créer un climat propice."
Un constat que fait l’ambassadrice sud-africaine Nozipho Mxakato-Diseko, qui préside le groupe des G77+Chine, enceinte de coordination des pays en développement.
Les arrangements financiers “continuent de nous échapper”, a-t-elle déploré, lors d’une réunion informelle.
Le reste de l’actualité
La valse-hésitation française sur la taxe carbone. La mention, dans la loi de transition énergétique, d’une trajectoire pour la contribution climat-énergie (CCE) française de 56 euros par tonne de CO2 en 2020 et 100 euros en 2030 est l’un des axes majeurs de la communication gouvernementale à l’occasion de la COP 21. Or cette trajectoire n’était sécurisée dans le budget que jusqu’à 2016. Le gouvernement s’est bien gardé de concrétiser cette trajectoire les années suivantes. C’est désormais chose faite avec le vote, le 1er décembre, d’un amendement au projet de loi de finances rectificative pour 2015 de Jean-Paul Chanteguet (PS) pour “rendre le processus irréversible”. La France est désormais dotée d’une CCE de 30,50 euros en 2017, 39 en 2018 et 47,50 en 2019… contre l’avis du gouvernement.
Alain Vidalies veut des quotas de CO2 pour l’aviation civile internationale. Le secrétaire d’État chargé des transports a défendu hier au Bourget la création d'un mécanisme mondial de marché en ce sens, lors de la prochaine assemblée générale de l’Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) en septembre 2016.
Ségolène Royal veut généraliser le système MRV pour le transport maritime. La ministre a souhaité hier au Bourget que le système de surveillance, déclaration et vérification des émissions de ce secteur, qui pèse plus de 2,5 % des émissions mondiales de CO2, soit adopté lors de la session d’avril 2016 de l’Organisation maritime internationale (OMI).
OACI et OMI se voient justement attribuer le Fossile du jour. Ce "prix" est décerné quotidiennement - et à des acteurs différents - par le Réseau action climat. Les deux organisations représentent deux secteurs, dont les émissions équivalent à celles du Japon et de l'Allemagne, et bénéficient de plus de 60 milliards de dollars annuels d'exemptions de taxes. Elles "continuent d'être exemptées de l'Accord de Paris et font de leur mieux pour le rester". En l'état, les émissions de l'aviation et du transport maritime devraient croître de 270% d'ici 2050.
Rock around the COP
La COP a même son jeu vidéo ! Il répond au doux nom de Capman, par allusion au Pacman des années 1980 (pour les plus de 20 ans qui peuvent ne pas connaître) et à l’ambition du marché européen du carbone de plafonner (to cap), puis réduire, les émissions de CO2 de l’industrie européenne. Un Capman humain illustre d'ailleurs ce livre de bord. Le programme a été développé par l’ONG Carbon Market Watch, spécialisée dans la traque des errements du dit marché, ainsi que Pixel Impact. Une petite session, pourquoi pas pendant des heures, vaut mieux qu’un long discours. Contexte soupçonne d’ailleurs certaines délégations de préférer faire exploser leur score que de négocier un bon accord de Paris.
“Journalistes, nous regrettons toute confusion à propos des points presse ces deux derniers jours.” Par ces mots, la délégation des États-Unis a adressé ses excuses à la presse. Ces derniers jours, les journalistes se sont rendus, nombreux, à des briefings programmés par ce pays, finalement non honorés. D’autres délégations/ministres, y compris nationaux, ne prennent pas cette attention, même quand ils font attendre des salles pleines à craquer pendant plus de 40 minutes…
Le Premier ministre néo-zélandais pris la main dans le pot d’énergies fossiles. Souvenez-vous ! Au premier jour de la COP, John Key se posait en héraut des Amis d’une réforme des subventions aux énergies fossiles, groupe fondé en juin 2010 à l’initiative de son pays, prônant une fin “aussi vite que possible” des subventions aux énergies fossiles. Pour le Réseau action climat international, l’homme politique “a montré un certain degré d’hypocrisie”. Depuis son élection en 2008, les subventions nationales à la production d’énergies fossiles “y ont été multipliées par sept”. Ce que corrobore d’ailleurs l’OCDE. John Key devrait plus souvent jouer à Capman.
À ne pas rater le 3 décembre au Bourget
- Forum syndical climat et emplois : pas d'emploi sur une planète morte : le rôle des syndicats dans la lutte contre le changement climatique (Ituc, 11h, espaces Générations climat, salle 6)
- Vers un transport du futur bas-carbone (OCDE, 13h15, Hall 3, salle 7)
- Processus de révision de la première période d’engagement du protocole de Kyoto (Ccnucc, 13h15, Hall 4, salle 3)
- Forum syndical climat et emploi: Allemagne: Le climat et ses conséquences sur l'emploi (14h, DGB, espaces Générations climat, salle 6)
- Sept mers, trois océans, une Europe : les Régions maritimes européennes s'engagent pour le climat (Conférence des régions maritimes périphériques, 15h, espaces Générations climat, salle 1)
- 100% d'énergies renouvelables pour tous : la seule solution pour le climat (15h, Greenpeace, Hall 4, salle 4)
- Les émissions cachées de notre consommation (SOeS, 17h30, espaces Générations climat, salle 1)
- Prix Pinocchio du climat (Amis de la Terre, 19h, Flèche d’or, Paris 20e)
Retrouvez :
- notre livre de bord du premier jour de la COP
- celui du deuxième jour
Et notre dossier !