Difficile de dire si la première journée de la COP21 donnera l’impulsion politique espérée pour accélérer les négociations entre États, censées déboucher sur un premier jet de l’accord de Paris samedi 5 décembre. À quelques exceptions près, les quelque 150 chefs d’État et de gouvernement ont ménagé la chèvre et le chou dans leurs discours, prononcés tout au long de la journée du 30 novembre au Bourget.
Ce qu'il faut retenir des interventions des chefs d'État
Mécanisme de révision. Sans surprise, la France, d’autres pays européens et les Etats les plus vulnérables ont appelé à une révision à la hausse régulière des engagements nationaux. Angela Merkel est allée le plus loin dans le camp des Européens, en précisant que le réexamen des objectifs devrait être “juridiquement contraignant” et démarrer “dès 2020”. “Les objectifs doivent être renforcés et non pas diminués au fil des années.”
Les dirigeants des émergents comme la Chine et l’Inde, dont la position aura un impact décisif sur le mécanisme qui sera retenu dans l’accord final, sont restés muets. Tout comme l’Union européenne, qui souffre de ses divisons internes. Le président des États-Unis Barack Obama s’est limité à évoquer une "mise à jour régulière" des engagements.
Financement. Plusieurs pays industrialisés dont les États-Unis, le Canada, le Japon, la France et l’Allemagne ont fait des annonces sur les financements qu’ils accorderont aux pays pauvres. Les États-Unis prendront des engagements, mardi 1er, pour soutenir une initiative d'aide aux pays les plus vulnérables à s’assurer contre les risques climatiques.
Le financement climat doit être “augmenté significativement au-delà du seuil de 100 milliards de dollars après 2020”, a déclaré Jacob Zuma, président d'Afrique du Sud, qui préside le groupe des G77+Chine, coalition des pays en développement. La Chine, réticente à prendre des engagements dans le cadre de la Convention-cadre, a envoyé un signal de bonne volonté, en annonçant qu’elle soutiendra 100 projets d’énergies propres dans les pays en développement.
Différenciation. L’Inde a affiché une ligne dure, en insistant sur la responsabilité des pays développés. “Les plus riches d’entre nous continuent d’avoir une empreinte carbone très forte et les milliards d’entre nous qui vivent en bas de l’échelle du développement espèrent, eux, que nous leur donnerons l’espace nécessaire à leur croissance”, a déclaré le Premier ministre Narendra Modi. Ce dernier a aussi souligné que les principes de l’équité et la différenciation devraient être reflétés “dans tous les domaines de l’accord”.
Pertes et dommages. Les pays en développement insistent sur la nécessité d’accorder une place à cette thématique dans l’accord de Paris. Mais les pays développées n’ont toujours pas abattu leurs cartes, gardant le silence dans leurs discours officiels.
Forme juridique. François Hollande a réitéré son appel en faveur d’un accord contraignant. Laurent Fabius, dernièrement ambigu sur cette question, a finalement réinsisté sur la nécessité d’arriver à un accord "juridiquement contraignant". Pour Barack Obama, c’est un “système de transparence fort” qui doit créer la confiance et assurer que “tout le monde respecte ses engagements”.
Réactions mitigées des observateurs
"J’ai vu peu de compromis se dessiner dans les discours”, réagit le directeur du programme climat de l’Institut du développement durable et des relations internationales Thomas Spencer. Le chercheur estime toutefois que les dirigeants "se sont liés les mains", en participant à l’ouverture de la conférence.
“C’est difficile pour quelqu’un comme Modi de venir à Paris. Mais il est difficile, aussi, de revenir en Inde sans accord”, analyse-t-il.
"Personne n’a vraiment dépassé ses lignes rouges", regrette Romain Bennicchio de l’ONG Oxfam. Les chefs d’État et de gouvernement se sont avant tout adressés à leur public national, estime-t-il.
Pour Célia Gautier du RAC France, les dirigeants ont raté l'occasion de préciser leur position sur le mécanisme d’ambition.
“Il va falloir que les négociateurs travaillent dur pour arriver à un compromis ambitieux“, estime la chargée des politiques européennes de l’ONG.
Pierre Cannet du WWF France est d’avis que la première journée a permis aux pays de donner quelques gages afin de créer de la confiance. Mais cette dernière doit désormais être “traduite dans la négociation”. “Chaque chef d’État a essayé de faire bouger les lignes, avec quelques expressions, quelques mots”.
Le tweet du jour
La diplomatie climatique reste une science, précise. Le climatologue belge Jean-Pascal van Ypersele, candidat malheureux à la présidence du Giec, a ainsi corrigé, sur Twitter, Laurent Fabius à la suite de l'allocution du ministre.
Warning: #COP21 President @laurentfabius just said goal was to limit warming to 2°C IN 2100! That's wrong. It is 2°C, or 1.5°C, forever
— JPascal van Ypersele (@JPvanYpersele) 30 Novembre 2015
Le reste de l'actualité au Bourget
Prix mondial du carbone : François Hollande (dé)favorable. "Nous n'allons pas fixer un prix unique du carbone partout dans le monde", a-t-il déclaré lors d'un appel de chefs d'Etat en la matière. Des “instruments” doivent modifier “peu à peu, grâce à un prix du carbone, le comportement des acteurs économiques". Plusieurs pays le prévoient dans leurs engagements climatiques d’ici à 2020. Une “convergence qui ouvre des perspectives de coopération entre pays pour que se dessine progressivement un prix mondial du carbone", a-t-il, paradoxalement, conclu. Relire notre interview en défaveur d’une telle initiative (abonnés).
37 pays appellent à la fin des subventions aux énergies fossiles. Ils font part de cette aspiration dans un communiqué, présenté hier au Bourget, des Amis d’une réforme des subventions aux énergies fossiles. Ce groupe a été lancé en juin 2010 à l'initiative de la Nouvelle-Zélande. La fin des subventions aux énergies fossiles devrait se faire “aussi vite que possible", selon le Premier ministre néo-zélandais John Key, qui s'est bien gardé d'avancer un calendrier.
Michel Sapin va plus vite que la musique. "La France a éliminé toutes ses subventions directes aux énergies fossiles", a affirmé hier le ministre des Finances lors cette réunion entre Amis. Selon l’OCDE, les subventions directes aux énergies fossiles sont encore nombreuses en France. Une manière de rappeler à Michel Sapin que l’arrêt des aides à l’export pour les centrales à charbon sans dispositif de captage et stockage du carbone, annoncé en octobre par l'exécutif, n’est que l’arbre qui cache la forêt.
Lancement de la "Mission innovation". En présence de Barack Obama et Bill Gates, 20 Etats et 27 investisseurs de dix pays se sont engagés à doubler, sur cinq ans, le budget alloué à la recherche et développement dans le secteur des énergies propres, rapporte Le Moniteur.
Création de l'alliance solaire internationale. Lancée hier à l'initiative du Premier ministre indien Narendra Modi, elle vise à développer les coopérations entre Etats en matière d'énergie solaire. Il s'agit de réduire le coût de cette technologie et de développer de nouveaux marchés.
Le Forum des vulnérables climatiques pour une "totale décarbonation" d'ici 2050. Cette coalition regroupe les 20 pays d'Afrique, Asie, Caraïbe, Amérique du Sud et Pacifique les plus exposés au déréglement climatique. Ils prônent un objectif 100% renouvelable à cette échéance et un réchauffement endigué à 1,5°C d'ci 2100.
Quatre pays dégagent 500 millions de dollars de financement climat supplémentaire. Il s'agit de l'Allemagne, la Norvège, la Suède et la Suisse, dans le cadre d'un partenariat avec la Banque mondiale, annonce cette institution.
Rock around the COP
Des militants climatiques toujours assignés à résidence. Dans le cadre de l'état d'urgence, 24 ont l'obligation de se signaler trois fois par jour au commissariat, ou bien ont été mis en résidence surveillée pour les empêcher de manifester, rapporte Le Figaro. Reçues le 28 novembre par François Hollande, les ONG s'en sont plaint. Le président "nous a dit qu'il ne devait pas y avoir d'assignation à domicile pour les militants du climat", a affirmé hier Matthieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot. "Nous demandons que les préfets ne fassent pas de zèle." Ni lui ni François Hollande ne semblent avoir été entendus.
Lutte contre la congestion automobile : la fiscalité énergétique ringardisée par la COP 21. La fermeture de plusieurs axes routiers en Île-de-France et l'appel aux Franciliens à ne prendre ni leurs voitures, ni les transports en commun, a fait massivement chuter le trafic routier dans la région, comme l'a rapporté Le Parisien et comme le met en évidence le site Sytadin.
Côté transports publics, les auteurs de ces lignes ont mis moins d'une demi-heure pour se rendre de la gare du Nord à l'aéroport du Bourget. Un record rendu possible par la présence de nombreux bus hybrides, affrêtés par le Stif et la RATP, desservant efficacement la gare RER du Bourget à l'aéroport et permettant d'éviter une douloureuse rupture de charge.
Les sponsors de la COP vous saluent bien. L'argent de la soixantaine de contributeurs privés qui ont cofinancé l'organisation de la négociation climatique internationale n'a pas été dépensé en vain. Le secrétariat général de la COP 21 a remercié ces entreprises à l'entrée des différents halls de l'événement.
L'extinction de voix de Mohammed VI. Souffrant, le roi du Maroc a fait prononcer son allocution par le prince Moulay Rachid, rapporte France TV Info. Son Altesse n'est pas le seul chef d'Etat ou de gouvernement à s'être fait porter pâle, rapporte ce média. C'est le cas du président syrien Bachar Al-Assad, du dictateur nord coréen Kim Jong-un et des présidents du Burundi et de la République démocratique du Congo, pays en proie à des troubles. L'émir du Koweit ne s'est pas non plus déplacé, alors que son pays a soumis une contribution climatique. Le président du Venezuela s'est bien déplacé au Bourget, sans soumettre de tel engagement.
Les sandwichs pas très "vegi" de la COP 21. Jambon ou saumon pour tout le monde ! Végétarien, passe ton chemin. Le patron de Greenpeace France, Jean-François Julliard, s'en est plaint dans un tweet rageur.
Impossible de trouver un sandwich #vegetarien à la #cop21 Y a encore du boulot décidément...
— J-F Julliard (@jfjulliard) 30 Novembre 2015
À ne pas manquer le 1er décembre au Bourget
- Début officiel des négociations techniques (“ADP”)
- Lancement de l’agenda des solutions (Plan d’actions Lima-Paris, LPAA)
Les sujets difficiles (financement, adaptation…) seront abordés par tous les représentants. D’autres, plus faciles (transfert de technologies) seront discutés dans des groupes de travail, selon la feuille de route proposée par les coprésidents de l’ADP.
- Conférence de presse d’Emmanuelle Cosse, Ronan Dantec et Yannick Jadot, respectivement secrétaire nationale, sénateur et eurodéputé EELV (10h30)
- Un accord fonctionnel pour répondre aux besoins mondiaux (WRI, 11h)
- Quelles solutions bénéfiques à la fois pour les Français et le climat ? (RAC, 11h)
- Vers un système financier durable : leçons tirées d’études de cas nationales et de pratiques mondiales (I4CE, 11h15)
- Low carbon electricity (UFE, ESF, Eurelectric, 11h30)
- Ségolène Royal inaugure les espaces Génération climat avec Nicolas Hulot (14h30)
- Dialogue Chine-Europe : face au changement climatique, repenser notre modèle de développement global (Forum Chine-Europe, 15h)
Les rendez-vous de l'OCDE :
- Les progrès du suivi du financement climat public et privé (11h15)
- Identifier et résoudre les lacunes du reporting de la Ccnucc (13h15)
- Mitigation du changement climatique : les politiques et progrès (15h15)
Tout savoir sur les enjeux de la COP 21 grâce à notre dossier !