Au RN, pas de plan Palais-Bourbon à substituer au plan Matignon
Début de soirée électorale. Sur la terrasse en lambris du pavillon Chesnaie du Roy, dans la fraîcheur du parc floral de Paris, dans le XIIe arrondissement, un cadre du parti, se disant membre des Horaces (ce groupe de hauts fonctionnaires et d’experts censés conseiller le RN), glisse à Contexte, sans ciller, à la tête de quel ministère il se verrait. « Il est envisagé ou envisageable que je rejoigne le gouvernement. » Il est 19 h, et ce cadre ne doute pas un instant que, dans une heure, la majorité absolue sera acquise au Rassemblement national qui pourra dérouler son fameux « plan Matignon ».
Les premiers sondages commencent à tomber, et des militants – costume cravate, robe de soirée – relativisent. « Ce ne sera pas une déception si on est en dessous de 289 », la majorité absolue, assure Matteo Giammarresi. Ce responsable local de la fédération départementale des Hauts-de-Seine était suppléant de la candidate Julia Carrasco, battue au premier tour dans la circonscription de Stéphane Séjourné, que l’ex-ministre des Affaires étrangères a finalement remportée avec 72 % des voix. « Dans tous les cas, ce sera historique. »
En tête dans plus de la moitié des circonscriptions au premier tour, le RN arrive troisième au second tour. Dans la salle de réception, les applaudissements restent plus que mesurés à l’issue de l’annonce des résultats provisoires. Jordan Bardella prononce seul son discours (« le RN réalise aujourd’hui la percée la plus importante de son histoire »), sa garde rapprochée se tient à distance. Marine Le Pen est restée à l’étage. Ce n’est que plus tard qu’elle en descendra pour défendre, lors d’une intervention improvisée au micro de TF1 uniquement, « cette progression […] face à une coalition de l’ensemble des partis, accompagnée par la presse qui a tout de même pris parti clairement pendant cette campagne ».
Quel est le plan, désormais ? Aucun des rares cadres venus faire le service après-vente de l’élection ne sait quelle est la suite. « On va se laisser le temps de réfléchir à comment on organise la rentrée » parlementaire, selon Mathilde Androuet. L’eurodéputée est venue en renfort à la soirée, avec ses homologues Pierre Pimpie, Pierre-Romain Thionnet et Gilles Pennelle. « On verra, pour l’Assemblée ! » lance ce dernier à Contexte. Le parti prévoit d’envoyer une délégation à Bruxelles dès ce lundi pour la constitution du « grand groupe » promis par Jordan Bardella à la tribune.
De la rue du Rocher à la cour de Matignon : un itinéraire déjà sinueux pour la future ex-majorité minoritaire
D’abord invités à écouter Stéphane Séjourné au siège de Renaissance, rue du Rocher dans le VIIIe arrondissement, les journalistes ont finalement vu Gabriel Attal voler la vedette à son chef de parti. Comme au premier tour (voir notre reportage), la presse a rongé son frein avant de savoir où se rendre dimanche soir.
À 20 h 30, les équipes du Premier ministre annoncent qu’il s’exprimera une demi-heure plus tard depuis Matignon. Les quelques zélés qui comptaient sur le siège de Renaissance pour glaner quelques informations auprès des cadres du parti ont à peine le temps de traverser la Seine. Tout sauf un détail, alors que toute la zone est bouclée et inaccessible aux taxis à cause du périmètre des JO, et que certaines stations de métro sont fermées.
Après avoir habilement navigué entre ces obstacles et passé le périmètre de sécurité de la rue de Varenne, les courageux venus écouter le futur ex-Premier ministre ont finalement accès à la cour de Matignon. « Fidèle à la tradition républicaine et conformément à mes principes, je remettrai demain matin ma démission », annonce Gabriel Attal, dans un discours résolument tourné vers l’avenir d’un « bloc central » émancipé de son créateur, chaleureusement applaudi par tous les collaborateurs de Matignon et des ministères rattachés.
« Nous allons gouverner » lancent les écologistes
19 h, l’heure est encore grave. Arrivée silencieuse de Marie Toussaint, puis de Marine Tondelier pour y tenir un conseil politique. Pourtant, quelque chose a déjà changé en une semaine : des journalistes venus en nombre, des militants aussi, pour beaucoup libérés de leur circonscription où l’élection s’est jouée au premier tour.
« Pour l’instant, je ne peux rien vous dire, les fourchettes sont trop grandes. J’ai même vu passer un sondage qui donne la majorité absolue au RN », glisse alors un proche de Sandrine Rousseau. Un cadre du parti en Île-de-France fait, lui, la liste de possibles ministrables dans un gouvernement de coalition. Hors de question pour un écologiste parisien, qui défend l’hypothèse de coalitions par texte au Parlement. « [Avoir] trois ministères ne nous intéresse pas », prévient-il.
20 h, les premières estimations tombent. Le QG exulte. Ces discussions sont déjà oubliées. « Marine, Marine, Marine », crie la salle, non sans ironie, alors que le RN est relégué à la troisième place. Marine Tondelier monte sur scène. « Ce soir le peuple a gagné, et nous allons gouverner », s’exclame la secrétaire nationale du parti. À ce niveau-là, le NFP est « en position d’imposer une cohabitation et son Premier ministre », nous assure le député européen François Thiollet. « La responsabilité de ne pas bloquer le vote du budget sera entre les mains des autres forces », analyse-t-il.
Au même moment, c’est Jean-Luc Mélenchon que l’on entend sur les chaînes de télévision. Peu importe si la vedette leur a été volée, les militants – le cœur à la fête et drapeaux à la main – partent en direction de la place de la République. « Ça fait longtemps qu’on n’avait pas vécu cela. J’y vois un réel tournant », résume la sénatrice Anne Souyris.
Chez LFI, la victoire toute !
Sous la coupole de la Rotonde de Stalingrad, près de 300 journalistes accrédités ont croisé toute la soirée quelques militants et députés nouvellement élus. Dès 19 h, les premières estimations commencent à tomber, et de petites grappes de journalistes se forment autour du peu de membres du parti présents. Éric Coquerel, député et ex-président de la commission des Finances, refuse de se prononcer sur les différentes hypothèses de gouvernement : « trop tôt ». Dehors, les militants se rassemblent devant une scène montée pour l’occasion. À 20 h, des cris, des larmes de joie. Le Nouveau Front populaire est en tête des résultats. « Mais qu’est-ce qui s’est passé en une semaine », s’interroge une militante, ravie que les prédictions autour d’une large victoire du RN ne se soient pas concrétisées.
À l’intérieur, Jean-Luc Mélenchon prend brièvement la parole : le président de la République a « le devoir d’appeler le Nouveau Front populaire à gouverner ». Ce dernier « appliquera son programme, rien que son programme mais tout son programme ». Le reste de la soirée se déroulera à l’extérieur, sur la scène, où se succéderont notamment Mathilde Panot, Younous Omarjee, Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, Aurélie Trouvé et Manon Aubry.
Sur les autres thématiques, les partisans préfèrent cependant rester discrets. Quelles sont les réunions prévues dans les prochaines heures ? Ou encore, qui sera le Premier ministre ? « Notre programme c’est notre Premier ministre », a ainsi répondu Younous Omarjee, eurodéputé. Seule certitude pour La France insoumise, le Premier ministre devra être du Nouveau Front populaire. Ainsi, « dès cet été des mesures prévues » par le programme du NFP pourraient être « prises par décret sans vote », assure Jean-Luc Mélenchon. La soirée de la Rotonde se termine vers 22 h 30. Comme la semaine dernière, certains prennent le chemin de la place de la République.
Au PS, on savoure le retour des beaux jours
À l’arrivée des premières estimations, la stupeur gagne les militants ; les cadres s’agitent. « Vous savez si c’est fiable ? », demande une collaboratrice aux journalistes présents. Sébastien Vincini, le Monsieur carte électorale du parti, tempère les espoirs ressuscités : « Ça ne vaut rien, on n’a pas encore la moitié des circos. » Il faut attendre 20 h pour que la foule y croie pour de bon, et explose de joie à l’annonce des résultats. Deux minutes plus tard, la télévision annonce le résultat d’une première circonscription : la 1re de Corrèze. Nouvelle scène de liesse, lorsque le visage du vainqueur apparaît : « Des militants socialistes qui acclament François Hollande, ça faisait bien longtemps qu’on n’avait pas vu ça », sourit Alexandre Ouizille, sénateur PS.
Au même moment, sous la salle principale de la Bellevilloise, une poignée de collaborateurs PS de l’Assemblée suit le direct. Le silence s’installe quand Jean-Luc Mélenchon, premier chef de file à s’exprimer, apparaît sur l’écran. « Rien que son programme mais tout son programme », lance le leader Insoumis. « C’est le début des emmerdes… », lâche un membre de la troupe. « À quoi ça sert de faire ça ? Quand tu es à 220 députés, tu ne peux pas tout imposer », lâche un autre.
La clameur de la grande salle reprend à l’arrivée d’Olivier Faure. Le premier secrétaire monte sur scène avec une armada d’élus, qui peine à tenir sur l’estrade. Et se lance dans un discours fleuve de près de dix minutes. Pas rassasié, le député enchaîne avec un discours tout aussi prolixe à destination des militants. Le patron du parti galvanise ses troupes : « Ce soir n’est pas une fin, c’est le début de quelque chose ! » Énième ovation de la foule. Les cadres savourent : « Bien sûr que c’est une victoire, on double notre nombre de députés », se félicite le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol. Dans les yeux des militants, on lit un optimisme qu’on croyait disparu depuis bien longtemps.