Antoine Pellion a confirmé ce 17 février sa démission du Secrétariat général à la planification écologique, et annoncé son arrivée dans le groupe Idex comme directeur commerce.
Vous quittez le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), alors que la planification n’est plus une priorité de politique publique comme elle le fut en 2022. Que faut-il en conclure ?
Je pense que c’est toujours une priorité de politique publique. Un certain nombre d’étapes ont été franchies. Tous les secteurs d’activité disposent d’un plan, une étape de « territorialisation » vient d’être passée puisque les feuilles de route des quatorze Régions sont maintenant finalisées. C’est très concret. Et le Premier ministre continue d’être chargé de la planification. Ça, c’est notre actif.
Après, c’est vrai aussi qu’une forme de « backlash » [contrecoup, ndlr] de la transition écologique est visible dans toute la société. Nous sommes, selon moi, dans une sorte de « point de bascule ». Nous avons, d’une part, tous les outils en main pour y arriver : nous avons réussi à baisser les émissions assez fortement au cours des dernières années, ce qui constitue non seulement un enjeu écologique mais de souveraineté économique. Pour autant les sociétés française, européenne et mondiale sont traversées par des doutes et des hésitations. C’est le moment de donner un coup d’épaule pour aller de l’avant.
Cet aspect constitue une part de ma décision (de démissionner) : il est maintenant urgent d’être du côté de ceux qui sont à la manœuvre pour faire cette transition. Les collectivités, les entreprises ont un rôle à jouer, les citoyens aussi, c’est le sens de ma bascule aujourd’hui : je change de point de vue pour participer à l’aventure de ceux qui ont les pieds sur le terrain et qui font. Je vais d’ailleurs mener en parallèle mon métier salarié et continuer mon engagement au sein de mon association, La Planification écologique.
C’est une démission à votre initiative ou êtes-vous poussé dehors ?
C’est moi qui ai demandé à partir.
Que devient dès lors le SGPE ?
Ce qui est sûr c’est que le SGPE continue d’être auprès du Premier ministre, avec l’objectif de poursuivre sa mission essentielle de tenir le plan jusqu’en 2030, même s’il y a des approfondissements à faire. Mais les grands enjeux sont surtout le sujet du pilotage et de la mise en œuvre de ce plan. Des revues de projet sont en cours sur le logement et le transport pour regarder où sont les écarts, quelles sont les actions correctives.
Je suis favorable à un schéma très simple qui est que le chef du pôle vert de Matignon soit aussi chef du SGPE [ce lien a été déconnecté par l’ex-Premier ministre Michel Barnier, ndlr]. Ce point-là n’a pas encore été tranché, mais c’est clairement la recommandation que je fais à l’ensemble des autorités politiques.
Pour l’instant, il n’y a pas de décision prise pour savoir si c’est Vincent Le Biez [chef du pôle environnement, énergie, transports, logement de Matignon, ndlr] qui reprend le SGPE ou si c’est quelqu’un d’autre. Dans l’attente, c’est Frédérik Jobert, mon adjoint, qui fera l’intérim. Je partirai fin mars.
Si ce scénario que vous décrivez n’est pas retenu, le SGPE peut-il subsister ?
Il faut remettre en perspective. Celui qui a créé la planification écologique et le SGPE, c’est le président de la République dans l’entre-deux tours en 2022. Le fait générateur, c’est qu’on confie au Premier ministre cette charge-là. Moi j’étais avec Jean Castex, je connaissais Élisabeth Borne, donc j’ai commencé à défricher la mission et à l’installer. Le SGPE n’est pas directement lié à Antoine Pellion et me subsiste dans les faits, et c’est important que ça soit le cas.
Pourquoi l’écologie n’est-elle plus vue aujourd’hui comme un élément de compétitivité ? Dans ce monde post-élection de Donald Trump, l’écologie est-elle endossable politiquement ?
Ma conviction extrêmement forte est qu’il faut précisément dans le contexte actuel accélérer la transition. L’Europe et la France n’ont pas d’énergie fossile, pas de matières premières. Nous sommes extrêmement dépendants des autres géographies, de l’Asie, des pays du Moyen-Orient. Dans un monde qui se durcit sur le plan économique, notre pérennité de long terme, notre survie économique est intrinsèquement liée à notre capacité à transformer notre économie pour qu’elle soit plus sobre en intrants. Je vous donne un chiffre concret : la facture d’énergie fossile en 2019 était de 70 milliards d’euros. Elle est montée jusqu’à 130 en 2023. Le plan de transition baisse de quasiment 40 % les gaz à effet de serre entre 2019 et 2030, ce qui nous fait économiser 20 milliards d’euros par an.
Et ça, c’est en temps normal. En période de pic de prix et donc de crise, ces écarts seraient encore plus grands.
Je constate en revanche que le débat public n’est pas du tout celui-là. Il y a un enjeu politique fort à faire remonter en « tête d’affiche » ce sujet comme un outil au service de la compétitivité.
Pourquoi le débat public n’est-il pas orienté dans cette direction ?
Car cela suppose d’intégrer une vision de moyen terme, de plusieurs mois à quelques années. Parce que aujourd’hui, l’investissement supplémentaire dans la transition écologique est vécu comme une perte de compétitivité prix.
Mais ma conviction, et je ne suis pas le seul, c’est que dès la prochaine crise, il sera amorti.
Ce n’est pas simple, mais c’est cette vision qu’il faut mettre sur la table.
Nous avons besoin de remettre du temps long dans les décisions. C’est le principe de la planification écologique.
Votre poids a commencé à décliner à partir de la crise agricole. Comment faire face à la succession de crises, qui remet sans cesse en question la transition écologique, surtout sans investissements de long terme garantis, puisque contraints par la situation budgétaire…
Une façon facile de faire la transition écologique consistait à recourir massivement à la subvention publique. C’est ce que nous avons fait au cours des premières années. C’est la voie la plus facile. Elle nécessite de moins se poser de questions, de ne pas avoir à réinventer des modèles d’affaires, d’éviter d’en passer par la norme.
Nous devons maintenant construire une version plus « évoluée » : le SGPE a mis sur la table une analyse de l’investissement privé. Je prends un exemple qui peut faire sourire car cela a trait à mon futur secteur d’activité. Le débat sur les réseaux de chaleur a beaucoup porté sur les subventions du Fonds chaleur. Je pense que nous pouvons aussi réussir à financer ces réseaux avec de l’avance remboursable, du prêt bonifié.
Les questions de la répartition de l’effort de baisse des émissions et de l’effort financier à consentir par tous les acteurs sont des enjeux. Soixante-quinze pour cent de cet effort est fourni par les entreprises et les pouvoirs publics, et il n’y a « que » 25 % de l’effort demandé aux gens. Par ailleurs, tous les Français ne sont pas logés à la même enseigne. Notre projet ne vise pas à demander à tout le monde de changer de voiture ou de rénover sa maison dans les trois prochaines années. Seule 15 % de la population devra avoir fourni des efforts importants à l'horizon 2030. Tout le monde n’est donc pas concerné. Introduire de la progressivité est un chemin qui rend les choses possibles.
Nous n’avons jamais masqué que c’était difficile. Mais notons que toutes les COP territoriales sont allées au bout de leur travail. Toutes les Régions, même Auvergne-Rhône-Alpes, disposent aujourd’hui d’un plan d’action. À l’exception de l’Île-de-France. [À la suite de la publication de cet article, Yann Wehrling a souhaité réagir, en défendant le fait que l’Île-de-France se plie bien à l’exercice des objectifs climatiques. Lire la brève de Contexte Environnement].
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a-t-elle émis des réserves sur votre mobilité ?
L’avis est favorable mais je ne peux parler ni avec la DGEC [Direction générale de l’énergie et du climat] ni avec l’Ademe.
Mon métier à Idex ne consistera pas à discuter avec les pouvoirs publics, mais à travailler à développer les réseaux de chaleur, ou des projets de conversion d’usines utilisant les énergies fossiles vers du renouvelable.
Vous avez toujours lié la planification écologique à la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Celle-ci a décéléré en 2024…
En 2022-2023, les émissions ont baissé plus que ce qui était prévu dans le plan. Nous avions eu un énorme choc de sobriété [énergétique], tiré par les prix. En 2024, les émissions ont baissé, mais moins. Nous avons donc au total « mangé » l’avance prise et nous sommes pile sur la trajectoire.
En 2025, nous ne sommes pas certains d’atteindre l’objectif. Certains secteurs, comme l’énergie et l’industrie, sont en avance. Les transports et le logement sont un peu en retard.
Qu’en est-il de l’agriculture ?
Le secteur est sur la bonne trajectoire de réduction des émissions. Mais ce résultat est en trompe-l’œil car le cheptel a plus baissé que souhaité. Pour moi, c’est une mauvaise chose puisque la consommation de viande des Français n’a pas baissé plus que prévu. Donc finalement, nous avons plus importé. Et les transformations structurelles attendues sur les couverts végétaux ou la décarbonation des engins agricoles sont moins rapides que prévu.
Vous avez passé dix ans en cabinets ministériels, à l’Élysée et à Matignon, vous avez été directeur général d’En marche… Regrettez-vous de quitter le monde politique ?
Je n’ai pas de grand regret. Mon sujet est : comment contribuer à ce changement de société qu’est la transition écologique ? J’ai passé pas mal d’années en cabinet et dans les administrations. C’est bien de changer un peu de regard, ce qui ne m’empêchera pas un jour d’y revenir, mais dans longtemps.
Avez-vous informé Emmanuel Macron de votre départ ?
Bien sûr, ça a été vu avec lui. Je l’ai accompagné depuis le premier quinquennat.
Cette question de la planification écologique est importante pour lui. On lui impute injustement un bilan faible. Le président a pourtant lancé la planification écologique et soutenu le SGPE depuis sa création, en s’assurant que la planification écologique a été une mission constante des Premiers ministres successifs.
Est-ce lui qui jouera ce rôle de garant dans les deux années qui viennent ?
C’est ce que j’espère.
C’est quand même Emmanuel Macron, qui, le premier, parle de pause normative…
Je ne pense pas qu’on puisse dire que le président soit le moteur de l’opposition au Green Deal. La « pause normative » signifie que l’urgence est de mettre en œuvre les nombreux textes prévus dans tous les secteurs plutôt que d’en créer de nouveaux.
Tout le monde parle de simplification. Pour moi, simplification ne veut pas dire régression. Mais éviter des procédures trop lourdes, sans remettre en cause l’objectif et les façons de faire.
Le gouvernement français demande bien une pause dans l’application du devoir de vigilance et du reporting extrafinancier…
Je suis de ceux, avec Pascal Canfin et d’autres, qui pensent qu’il faut maintenir le Pacte vert tel qu’on l’a mis sur la table. Il y a des tonnes d’exemples de reporting dans lesquels simplifier est possible, tout en gardant l’essence de ce qui est mis en place.