Un ancien membre de l’équipe Borne à Matignon a alerté Contexte dès le 12 janvier dernier, au lendemain de la nomination de Gabriel Attal. « Il y a un vrai problème de ressources humaines » pour constituer les cabinets ministériels. Dans son viseur : les conseillers parlementaires, fortement rajeunis depuis le début du deuxième quinquennat.
Conseillère parlementaire à 23 ans
« La juniorisation, c’est le problème numéro un », confirme un ex-conseiller ministériel, récemment parti dans le privé. « Aujourd’hui, on est au Journal officiel à 23 ans. Auparavant, il fallait un peu d’expérience politique, on faisait des carrières. » La dernière recrue au ministère des Relations au Parlement ne devrait décrocher son diplôme de Master 2 qu’en juillet 2024 ! Son CV n’affiche pour l’instant qu’un CDD au sein de la campagne présidentielle de 2022, trois ans de militantisme chez les Jeunes avec Macron, et deux stages de six mois aux cabinets des ministres de la Défense et de la secrétaire d’État chargée de l’Enfance. Cela lui a cependant permis d’appréhender les enjeux d’une majorité relative…
« Attention, cela ne signifie pas qu’ils ne vont pas devenir bons, reprend l’ex-conseiller de Matignon. Mais ils manquent d’antériorité, de certains réflexes. Ils ne connaissent pas les marottes des parlementaires, ils ne savent pas identifier les amendements qui reviennent tout le temps, ni comprendre d’où viennent certaines propositions de loi… Certains conseillers parlementaires n’avaient pas le B.A.-BA de la procédure. Cela peut se comprendre à 23 ans, mais cela prend du temps à acquérir et cela fait perdre de l’efficacité. Il y a un coût d’entrée. C’est comme dans d’autres métiers, on peut avoir des juniors, mais pas trop. »
Ce type de profil un peu vert agace au Parlement. « Les conseillers parlementaires ont un niveau affligeant », grince un vieux routier de la droite à l’Assemblée. « Ceux venus de la gauche ne parlent pas aux élus de droite », note-t-il aussi. La charge est excessive. Lui-même se corrige d’ailleurs en citant l’expérimenté Grégory Canal, officiant auprès de Gérald Darmanin ou l’équipe entourant Sébastien Lecornu.
« Il n’y a pas un jour, dans la boucle des députés Renaissance, sans que l’un d’entre eux se plaigne d’une absence de réponse des conseillers parlementaires ou d’un déplacement mal organisé », raconte un ancien conseiller ministériel devenu député en 2022. Selon nos informations, le président du groupe, Sylvain Maillard, l’a signalé à Gabriel Attal lors d’un échange qui s’est tenu le 1ᵉʳ mars. Matignon aurait même récupéré une liste des courriers sans réponse et passé le message aux ministères concernés.
Un vivier asséché
Le manque d’expérience concerne surtout les postes les plus politiques, à savoir les conseillers parlementaires, les conseillers communication et la chefferie de cabinet. « Je n’ai jamais connu un chef de cabinet de plus de trente ans », confirme un directeur de cabinet de l’époque Borne ayant passé six ans dans les couloirs des ministères. « Auparavant, ces postes étaient souvent occupés par des anciens sous-préfets ou des anciens secrétaires généraux de préfecture », note un ancien du ministère des Relations avec le Parlement. L’organisation des déplacements ministériels a d’ailleurs suscité des critiques au sein du groupe Renaissance.
Organiser le cabinet, avoir une vision stratégique, gérer les questions RH est aussi une part de leur mission, rappelle le directeur de cabinet préalablement cité. « Comment une personne de 28 ans, même sympa et intelligente, peut-elle gérer un conseiller ou une conseillère ayant plus de quarante ans, trois enfants, gérer des salaires importants et des carrières dans la fonction publique qui ne sont pas les siennes ? Résultat, ces enjeux retombent sur la direction de cabinet, des postes où l’on note toujours une plus grande séniorité, mais dont ce n’est pas le travail. »
Une gestion RH défaillante
C’est une histoire de cycle, tempère un conseiller ayant exercé sous Hollande et Macron 1. « En 2012 aussi, il y a eu beaucoup de profils inexpérimentés, notamment chez les conseillers politiques et à la com’. La gauche n’avait pas été au pouvoir depuis dix ans. Des seniors sont arrivés petit à petit, et les directions de cabinet avaient bien souvent une expérience des années Jospin. »
2017, c’était un autre contexte. « Certains membres des cabinets Hollande sont restés pour suivre Macron. D’autres sont arrivés avec Édouard Philippe, et avaient l’expérience du mandat Sarkozy. Donc il y a des gens calés venant des deux côtés. Maintenant, on en est au troisième cycle. Si tu as une expérience professionnelle ou en cabinet importante, tu ne débarques pas en milieu de quinquennat. »
Plusieurs facteurs peuvent décourager les candidatures : l’absence de majorité au Parlement, le faible intérêt de l’agenda politique du ministre (s’il n’a pas de projet de loi à porter) et la relative incertitude sur la durée de vie des ministres.
« En 2017, on avait un agenda de réformes clair, ça valait le coup de monter à bord, on savait qu’on allait avoir du temps et des moyens », analyse le député Renaissance Marc Ferracci.
Celui qui fut conseiller social au ministère du Travail et à Matignon poursuit : « Du temps où j’étais en cabinet, il y avait des personnes qui avaient été secrétaire général adjoint de FO ou bien l’équivalent au Medef. Aujourd’hui, ce ne sont plus du tout les mêmes profils. »
La juniorisation des cabinets a aussi été accélérée par le resserrement de la taille des cabinets en 2017. « Les gens ont rapidement été essorés, et cela a entraîné un gros turn-over », confirme un ex-conseiller du ministère de la Transition écologique. Le parti macroniste, où peu de personnes peuvent se targuer de dix ans de militantisme, ne peut pas constituer une armée de réserve suffisante pour remplacer la génération 2017-2022, qui n’est plus là. « Le groupe Renaissance à l’Assemblée a posté ses offres sur LinkedIn, c’est dire leur difficulté… à recruter ! », raille un ex-conseiller du Palais-Bourbon.
« On sent que le niveau est faible », juge un ancien ministre de Jacques Chirac, travaillant désormais dans une entreprise privée. La fin du cumul des mandats a eu un effet pervers, celui de « réduire l’expérience de terrain et de la culture politique des collaborateurs parlementaires ». C’est l’un des viviers pour alimenter les cabinets de l’exécutif. Les dirigeants de Renaissance « ne peuvent piocher dans les collectivités car ils n’en ont pas », persifle un cadre d’un groupe de gauche au Sénat.
Les cabinets Le Maire et Vautrin, deux contre-exemples
Il n’y a pas de gestion de carrière en macronie, déplore aussi un ancien directeur de cabinet de l’équipe Borne. « Auparavant, des conseillers travaillaient des années durant avec le même élu ou ministre, pendant trente ans parfois. Et quand il sortait du cabinet, on lui trouvait un poste. Aujourd’hui, c’est une sortie sèche, sans solution. Quand un ministre tombe. Il n’y a pas de traitement de l’écosystème. »
Locataire de Bercy depuis sept ans, Bruno Le Maire est cité comme un contre-exemple. « Il garde les gens, il place ses mecs, et sait faire tourner son cab’ », glisse une source. Les chiffres le confirment. D’après nos calculs, réalisés après le remaniement de janvier, les équipes du ministre de l’Économie et de Gérald Darmanin sont les plus stables (voir encadré).
Une longévité en poste très variable. Depuis juin 2022, les conseillers de Bruno Le Maire au ministère de l’Économie et de Gérald Darmanin à l’Intérieur sont en place depuis 385 jours et 380 jours en moyenne. Bercy dominait aussi le classement du premier quinquennat, (497 jours en moyenne), loin devant les cabinets du ministère de l’Intérieur (380), de la Transition écologique (361), des Transports (352) et de l’Agriculture. Le dernier remaniement, resserrant le gouvernement de 41 à 35 ministres, dont 18 restés au même poste, a aussi permis de juguler le turn-over.
Le choix des conseillers dépend aussi du profil des ministres. Catherine Vautrin a pioché dans la préfectorale, dont est issu son directeur de cabinet… mais aussi son chef de cabinet, Franck Vinese. Sur les questions liées au travail, elle a repris les anciens conseillers de l’équipe d’Olivier Dussopt, qui ont donc accumulé une certaine expérience. A contrario, Agnès Pannier-Runacher, arrivée au ministère de l’Agriculture, n’hésite pas à faire appel à de jeunes cadres très politiques. Elle s’est entourée de Guillaume Poitoux, secrétaire général de Territoires de Progrès, nommé conseiller chargé des élus, après avoir enrôlé Ambroise Méjean, responsable des Jeunes avec Macron, au ministère de la Transition énergétique. Sa nouvelle conseillère foncière a aussi moins de 30 ans.
La tentation est grande chez certains ministres de nommer des jeunes conseillers, qui leur seront fidèles et redevables, et n’oseront pas les contredire. C’est notamment le cas de certains conseillers techniques. « Cela convient aussi à l’administration, qui n’hésite pas à pousser ce type de profil, parce que ces jeunes conseillers ne les challengent pas, puisqu’il est difficile de s’opposer à son ancienne hiérarchie », glisse un ex-membre de cabinet, citant notamment le cas des ministères du pôle Transition écologique.
Le passage en cabinet, un frein à la carrière ?
La recherche d’un équilibre vie pro-vie perso et l’équilibre dans le couple, cités par plusieurs conseillers, peuvent expliquer encore la difficulté à attirer des profils seniors. « La vie politique s’est intensifiée, précise un ex-conseiller d’Édouard Philippe, toujours en cabinet. Avec des boucles Telegram, nous sommes tout le temps sur nos téléphones, cela ne s’arrête jamais. Et cette politique “en temps réel” use plus vite les conseillers. » Il y a enfin un dernier obstacle de taille, relayé par un lobbyiste ayant plusieurs quinquennats au compteur : les contrôles opérés par la Haute Autorité de vie publique (HATVP), interdisant de travailler dans le privé pendant trois ans sur les domaines couverts au ministère (relire notre enquête).
Une « bonne mesure », mais qui freine le recrutement de conseillers techniques, selon lui. « Ceux qui ont une expertise ne veulent pas subir une traversée du désert de trois ans à leur départ de cabinet, en étant interdits partout. Maintenant les gens le savent, ce qui n’était pas forcément le cas il y a quelques années. » Passer en cabinet est moins attractif que par le passé, appuie Marc Ferracci. « Certains peuvent avoir le sentiment que ce qui était un accélérateur de carrière peut désormais être un frein. »