Le rapporteur Christopher Weissberg avait proposé de réécrire entièrement le texte, mais le bureau du groupe a préféré abandonner l’affaire. Selon nos informations, la proposition de loi (PPL) visant à « instaurer la transparence sur la fabrication des plats servis en restauration » sera formellement retirée ce 19 mars de l’ordre du jour dévolu à Renaissance à l’Assemblée nationale la semaine prochaine. « Le temps de trouver un consensus avec les acteurs », assure-t-on côté groupe.
Retour en arrière. « On ne sait pas d’où vient cette idée, mais c’est une énorme connerie », s’emporte Paul Boivin. Dans les allées du Salon de l’agriculture, le lobbyiste de la fédération des boulangers (FEB) est en colère. En ce 27 février, la rumeur court que la proposition de loi « non fait maison » sera mise à l’ordre du jour fin mars. Le texte, cosigné par l’ensemble du groupe Renaissance, instaure une obligation de signaler tous les plats non faits maison sur les cartes des restaurants, dans les boulangeries, chez les traiteurs, etc. À moins d’un mois de l’examen en commission prévu pour débuter le 20 mars, le représentant d’intérêts concède que ni lui ni ses confrères eux aussi opposés à cette PPL n’ont encore de stratégie pour contrer la « menace » qu’elle représente.
Cette idée n’émane pas « seulement du cerveau de Guillaume Kasbarian », premier signataire du texte, comme le supputent plusieurs sources. Remplacer le label « fait maison » par une mention des plats « non faits maison » est le cheval de bataille du médiatique chef et juré de Top Chef (M6) Philippe Etchebest et de Stéphane Manigold, un restaurateur parisien propriétaire de plusieurs établissements – dont Hémicycle, situé à deux pas de l’Assemblée. Cet entrepreneur à succès est exactement le genre de profil prisé par la Macronie, peu friande des corps intermédiaires. Battu par Thierry Marx à l’élection pour la présidence du syndicat des industries hôtelières (Umih), dont il présidait la branche restauration, il voue au chef étoilé – qui l’a fait « éjecter » du conseil d’administration – une haine féroce.
Tournée des popotes
Habitué des plateaux télé depuis le Covid, Stéphane Manigold assume le fait d’être l’auteur, avec son avocate, Anaïs Sauvagnac, de la première version de la proposition de loi. Pour défendre une idée à laquelle, selon lui, « une immense majorité des adhérents de l’Umih est favorable », il fait la tournée des personnalités politiques. À commencer par le président de la République, Emmanuel Macron, que Stéphane Manigold interpelle directement en février 2023 en se filmant à Rungis.
Invité au campus de Renaissance à Bordeaux début octobre pour animer une table ronde, il en profite avec « son ami Philippe Etchebest » pour obtenir un engagement du ministre Bruno Le Maire afin que « le texte aille jusqu’au bout ». Un mois plus tôt, il dit avoir rallié à sa cause le patron des députés LR, Olivier Marleix, aux journées parlementaires du parti à Saint-Malo.
« J’ai déjeuné avec Fabien Roussel, il m’a promis le soutien de son groupe communiste autour d’un bon verre de vin et d’une côte de bœuf », se gargarise encore Stéphane Manigold.
« Des pratiques de lobbying à l’ancienne », dénonce une source au fait du dossier, qui soupçonne – à l’instar de plusieurs interlocuteurs de Contexte – que le restaurateur s’est mis plusieurs parlementaires dans la poche grâce à ses tables réputées.
Mise en orbite de la PPL
Les efforts de Manigold portent leurs fruits puisque, le 23 octobre, la ministre chargée des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, Olivia Grégoire, annonce à La Tribune qu’elle travaille « depuis plusieurs mois » – elle a d’ailleurs vu le restaurateur en mai, atteste son agenda public – à remplacer le label « fait maison », créé en 2014, car la mention est « peu utilisée ».
« Au plus tard en 2025, peut-être même dès l’année prochaine, tout plat non “fait maison” devra désormais être signalé sur les cartes », écrivent nos confrères.
Le président de la commission des Affaires économiques de l’époque, Guillaume Kasbarian, réputé amateur de bonne chère, s’empare de la proposition de loi et la dépose fin janvier, quelques jours avant son entrée au gouvernement.
Christopher Weissberg, député Renaissance des Français de l’Amérique du Nord (suppléant du ministre Roland Lescure) et restaurateur dans l’État de New York, hérite du dossier. « Je pensais qu’une grande partie de la restauration serait pour, sauf la restauration rapide », résume le rapporteur à Contexte le 4 mars. Après quelques prises de contact informelles avec le monde français de la restauration, qu’il ne connaît pas du tout, il se rend compte que ce n’est pas le cas.
« C’est un enjeu de transparence pour le consommateur », juge l’élu à quelques jours des auditions des organisations professionnelles. Il prévoit de demander au gouvernement de rouvrir le décret sur le label « fait maison » « sans galvauder la notion de produit brut » et indique qu’il portera une attention particulière au décret prévu par la PPL sur les modalités d’affichage. « Il ne faut pas qu’il y ait un logo sur chaque plat, plutôt une mention du genre “tout est fait maison, sauf ça et ça” », imagine-t-il.
Retournement
Une semaine plus tard, changement radical de discours. « Je suis en train de réécrire tout le texte pour rendre obligatoire la mention du fait-maison », déclare Christopher Weissberg à Contexte le 12 mars. La quinzaine d’auditions qu’il a menées auprès des professionnels du secteur l’ont convaincu que la « mention négative » mise en place par la proposition de loi est intolérable pour le secteur, qui se montre au contraire ouvert à un renforcement du label « fait maison ».
« On va au casse-pipe. Pas un parlementaire ne va nous suivre pour mettre des mentions stigmatisantes partout dans les restaurants », s’alarme-t-il.
Entre-temps, les opposants se sont organisés. Le Syndicat national de l’alimentation et de la restauration rapide (Snarr), conseillé par Taddeo, s’indigne d’un texte qui « stigmatise l’ensemble de la restauration au moment où le Premier ministre parle de débureaucratiser ». Les boulangers – assistés par Lysios – font part de leurs arguments dans un article de la publication Snacking pour « marquer le coup » auprès de leurs adhérents. Le Snarr contacte même la puissante FNSEA pour tenter de l’intéresser au sujet et de la mettre de son côté – le syndicat agricole demande dans la foulée une audition au rapporteur et en profite pour promouvoir le label d’origine sans rentrer sur le fait-maison.
Pendant ce temps, l’Umih est ambiguë, déplorent de concert les opposants à la PPL et Stéphane Manigold. La position de Thierry Marx n’est pas évidente. « Il est trop proche de l’industrie agroalimentaire », accuse Stéphane Manigold. « Prisonnier de son image de chef étoilé », analysent les autres. Pour un lobbyiste opposé à la PPL, « toute la restauration subit les divisions de l’Umih entre pro et anti-Thierry Marx ». En audition, l’Umih et le Groupement des hôtelleries et restaurations de France (GHR) finissent par s’opposer franchement au texte, qui n’a plus aucun soutien – pas même celui des associations de consommateurs.
Réécriture
Pour autant, le cabinet d’Olivia Grégoire, qui « gère ça toute seule dans son coin sans en parler à personne » – selon une source au sein de l’exécutif –, ne veut pas qu’il soit question de renoncer à la mention « non fait maison », d’après plusieurs interlocuteurs. Le rapporteur Christopher Weissberg décide de déposer quand même un amendement de réécriture de la proposition de loi, le 16 mars. « La logique du dispositif est […] inversée : la mention stigmatisante de “non fait maison” est […] remplacée par une revalorisation de la mention “fait maison” qui, de fait, devient désormais obligatoire », résume l’exposé des motifs.
L’examen en commission, qui devait servir de « crash test » selon les mots du secrétaire général d’un groupe parlementaire d’opposition, n’aura pas lieu. Mais Stéphane Manigold n’a pas dit son dernier mot : des députés LR ont déposé sensiblement la même proposition de loi. Et le restaurateur affirme qu’il a des soutiens dans la majorité sénatoriale pour son texte.