Si le nouveau Premier ministre a porté en étendard, depuis de nombreuses années, son aversion contre la dette financière, il s’est déjà démarqué de son prédécesseur Michel Barnier en passant sous silence la « dette écologique ».
La suite logique d’une carrière politique durant laquelle François Bayrou n’a jamais manifesté d’appétence pour l’environnement et le climat, laissant à ses compagnons de route écologistes le soin de verdir ses programmes électoraux, et aux élus MoDem la latitude pour porter des initiatives.
Pas dans le logiciel bayrouiste
En associant à la création du MoDem, en 2007, le parti CAP21 de Corinne Lepage, François Bayrou rompait avec un « monopole du discours chez les Écologistes », relate un membre fondateur venu pour sa part de l’UDF, Vincent Chauvet, aujourd’hui maire d’Autun et coordinateur Renew de la commission environnement du Comité européen des régions. D’après lui, le MoDem affirme alors une « spécificité », celle d’être « pro-environnement et pro-entreprises ».
La rivalité avec un Nicolas Sarkozy qui peste, en 2010, « l’environnement, ça commence à bien faire », conforte ce positionnement. « De tout temps il y a eu cette volonté au MoDem de se démarquer de Sarkozy », rit un cadre du parti.
Mais contrairement à un Emmanuel Macron qui dit avoir lu Bruno Latour et s’inspirer de sa pensée, et ainsi l’intégrer à son « logiciel », François Bayrou n’a jamais voulu incarner une quelconque forme d’écologie politique, laissant à ses alliés le soin de promouvoir leur propre vision – parfois contraire à la sienne.
Bennahmias, électron vert et libre
Ainsi Jean-Luc Bennahmias, membre fondateur du MoDem après avoir été secrétaire national des Verts, a pu exprimer à sa guise des positions qui n’étaient entérinées ni par le parti ni par son patron :
« Je faisais exactement ce que je voulais faire, je votais ce que je voulais. On n’avait pas de consigne, ni du parti, ni de François Bayrou », assure-t-il.
Sur le nucléaire, l’agriculture et bien d’autres sujets, Jean-Luc Bennahmias n’a jamais été raccord avec le maire de Pau. Mais « ce n’était pas un problème ». En 2012, il se joint même à la manifestation pour dire « non au nucléaire » à Cruas, « en tant que MoDem », sans que le futur Premier ministre s’en émeuve : « Il ne me dit rien, ce n’est pas du tout un problème pour lui. C’est toute la complexité de ce bonhomme… »
Même liberté au Parlement européen, où Bennahmias, alors vice-président du MoDem, siège dans le groupe ADLE de 2009 à 2014 : « Je ne votais jamais comme eux, les libéraux. »
Lepage, d’alliée à haïe
Corinne Lepage confirme « l’autonomie » dont jouissait son collègue à l’époque, et la sienne. Quand on lui demande la part de conviction, chez ce François Bayrou qui s’entoure alors d’écologistes, elle ne réfléchit pas longtemps : « Zéro ». À l’en croire, il n’y avait là « qu’un intérêt politicien ».
« Il m’avait dit “Je déteste les malthusiens”, lorsque je lui avais parlé des limites planétaires. »
Celle qui avait fait insérer de l’écologie dans le programme du candidat à la présidentielle 2007 raconte que sa tâche ne fut pas facilitée, ensuite, au sein du MoDem : elle se rappelle avoir monté des groupes de travail sur des sujets environnement-climat « toute seule, sans aucune aide du mouvement », et en pure perte, le MoDem refusant ensuite d’en diffuser les conclusions à ses universités d’été de 2009. Lors desquelles l’accueil fait à l’ancienne ministre de l’Environnement – une standing ovation – est par ailleurs « très mal vécu » par François Bayrou.
Plusieurs témoins de la relation dégradée entre Corinne Lepage et François Bayrou l’expliquent avant tout par une « inimitié personnelle ». Fortement alimentée, chez le second, par un livre qu’elle a publié en 2015, qui évoquait la demande qu’« on » lui avait faite, lorsqu’elle était associée au MoDem, de mettre à la disposition du parti son assistant parlementaire ; « Deux ans plus tard, Le RN a déterré ce bouquin dont personne ne parlait plus. Ce sont eux qui ont saisi le parquet » sur des emplois présumés fictifs, par le biais de l’eurodéputée Sophie Montel, rappelle-t-elle.
Werhrling, reparti sans rancune
Yann Wehrling a lui aussi fait partie des écologistes qui ont rejoint le MoDem, dont il fut porte-parole puis secrétaire général. « Objectivement, on ne confiait pas à l’époque de telles responsabilités à quelqu’un se disant écologiste. Ça n’a pas ravi tout le monde au MoDem », se rappelle-t-il, louant un Bayrou « jamais malveillant à notre égard », et qui voyait ces environnementalistes comme « une composante importante » de son parti.
« Sa méthode, c’est de la concertation, des compromis qui n’humilient personne. »
Mais au fil des années « on était de moins en moins nombreux, le sujet a moins existé. C’est une question de rapport de force interne ». Lui aussi finira par quitter le MoDem – il est aujourd’hui adjoint de la présidente de l’Île-de-France, Valérie Pécresse.
Il considère que le groupe MoDem de l’Assemblée, depuis sa création en 2017, « a très peu porté le sujet environnement. Je n’ai pas vraiment réussi à influencer le groupe », regrette-t-il.
L’éternel bus au colza
Vincent Chauvet voit une continuité dans la liberté accordée par le MoDem et son chef aux velléités écologistes de ses députés. Il cite en exemple Richard Ramos, « anti-agrobusiness », le défenseur des océans Jimmy Pahun, ou encore Sylvain Waserman, aujourd’hui à la tête de l’Ademe.
Le contexte dans lequel François Bayrou récupère le gouvernail de l’exécutif est aussi favorable, selon lui : les COP régionales « correspondent très bien à l’esprit du MoDem » et « la planification, c’est 100 % dans l’ADN de Bayrou et du MoDem ».
Mais quand il est question d’une démonstration passée des éventuelles convictions écologiques de François Bayrou, Vincent Chauvet, comme tous ceux que l’on interroge, ne retrouve qu’un seul exemple : sa campagne de 2002 à bord d’un bus roulant au colza.
L’environnement « n’est pas un sujet qui le passionne, confirme Jean-Luc Bennhamias. Dès qu’on parle de cela, il évoque les abeilles – dont le rôle est certes très utile. Mais à part ça… »
Marielle de Sarnez, la pièce maîtresse manquante ?
Comme Yann Wehrling – mais pas Jean-Luc Bennahmias – Corinne Lepage estime que c’est « davantage » Marielle de Sarnez, avec qui François Bayrou a formé un couple politique fusionnel jusqu’à sa mort en 2021, qui avait impulsé le rapprochement avec des écolos.
« Toutes les alliances sont passées par Marielle, y compris pour moi. Elle était beaucoup plus stratège et plus fine politique que lui. Et elle sentait bien mieux l’air du temps », juge-t-elle.
Vincent Chauvet assure aussi que Marielle de Sarnez, comme les autres eurodéputés MoDem, a « toujours été très moteur du Green Deal ».
Au sein du parti, une rupture a eu lieu en 2010, quand 50 militants du MoDem, dont une quinzaine de cadres, rejoignent ensemble EELV. À la recherche d’un « vrai projet » où l’« on écoute les gens et on donne la parole aux associations », mord un autre cofondateur du parti centriste, Frédéric Badina, aujourd’hui conseiller de Paris et membre de la majorité municipale.
Depuis, François Bayrou s’est montré discret sur ces sujets – une discrétion accrue par le fait que l’écologie a échappé au haut-commissaire au plan au profit du SGPE. Et le positionnement qu’il avait défriché a fait depuis des émules – jusqu’à Laurent Wauquiez (LR), qui exposait cette « conviction » le 15 décembre : « Non, l’écologie n’est pas de gauche ».
À en croire ceux qui l’ont côtoyé ou le côtoient encore, la politique environnementale du gouvernement de François Bayrou découlera davantage de ceux dont il s’entourera que de sa propre indifférence à cet égard.