Les négociateurs s’enferment pour avancer. Après la première journée des belles annonces (Relire notre Livre de bord de la COP - Jour 1), les milliers de diplomates issus de 195 pays se sont réunis mardi 1er décembre, du matin jusqu’au soir pour avancer sur le projet de l’accord de Paris. Des groupes de travail thématiques ("spin offs") ont eu lieu tout au long de la journée, de même que quelques réunions plus larges ("contact groups") permettant à l’ensemble des délégués de suivre les travaux.
Des diplomates "facilitateurs" guident ces travaux. Afin de pousser les négociateurs à avancer, ils ont décidé de fixer des objectifs et un délai pour chaque réunion. En dehors de ce cadre plus formel (négociations ADP « Ad Hoc Working Group on the Durban Platform for Enhanced Action » ), des réunions bilatérales entre les différents groupes de pays sont organisées. L’Union européenne s’est par exemple entretenue avec la Chine et les États-Unis.
Les échanges se passent derrière des portes fermées. Les ONG et la presse n’ont pas le droit d’y assister. Rapporter les avancées sur les points d’achoppement des négociations est donc pour le moment quasiment impossible. Plusieurs observateurs remarquent toutefois que les négociateurs, contraints de produire un projet d’accord plus concis et lisible que les 54 pages actuellement sur la table, font de réels efforts pour avancer.
Les coprésidents ont demandé à l’ensemble des diplomates facilitateurs de leur transmettre le fruit de leur travail d’ici jeudi 3 décembre au soir. L’Algérien Ahmed Djoghlaf et l’Américain Daniel Reifsnyder auront ainsi un jour pour en faire un projet qui doit toujours être validé par l’ensemble des pays, samedi à midi, avant sa transmission à la présidence française de la COP21.
Quid du "MRV" ?
Les mécanismes de “reporting” doivent évoluer post-2020. C’est ce qu’a rappelé l’OCDE lors de la présentation d’un rapport sur le “MRV” (measurement, reporting and vérification). Les experts ont rappelé que le système actuel date des années 1990, et ne permettra pas de suivre les engagements que se sont fixés les pays dans leurs contributions nationales pour la période après 2020. L’analyse de l’OCDE montre que beaucoup de pays ont fourni des informations incomplètes ou imprécises à l’ONU, ces dernières années. Faute d’y être contrainte par le cadre onusien, la majorité des États n’a même pas fourni de rapport biannuel.
Trois scénarios sont envisageables, a estimé Yamid Dagnet du World Ressources Institute, ancienne négociatrice de l’Union européenne à Durban en 2011, lors de la présentation de l'OCDE :
- Le système actuel est maintenu, tout en le renforçant en parallèle pour les pays industrialisés et les pays en développement
- Une convergence progressive entre les deux systèmes est inscrite dans l’accord de Paris
- Un tout nouveau système est établi à Paris, qui prévoit des obligations de “MRV” en fonction du type d’engagement pris par un gouvernement dans sa contribution nationale.
Comment faire converger les obligations de “MRV” après 2020 ? La question n’a pas encore été tranchée dans les négociations. Les pays en développement qui ne sont actuellement pas soumis à des obligations de “vérification” de leurs engagements internationaux s’opposent à l’idée de se voir imposer les mêmes règles que les pays industrialisés. Ces derniers poussent pour un système qui englobe tous les États.
Le tweet du jour
La secrétaire exécutive de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (Ccnucc) encourage l'ambassadrice française chargée des négociations sur le changement climatique Laurence Tubiana, présente malgré sa convalescence après une opération très récente de l'appendicite et qui roule en électrique !
Always energetic @LaurenceTubiana lets nothing stop her work these two weeks. Yay Laurence! pic.twitter.com/U9zO1nQ18Z
— Christiana Figueres (@CFigueres) 1 Décembre 2015
Prises de position
Pour Obama, le réexamen des objectifs devrait être “juridiquement contraignant”. Il l’a déclaré, lors d’une conférence de presse à l’OCDE, quelques heures avant son départ de Paris. C’est la première fois que le président américain précise publiquement la position de son gouvernement sur cette question. L'annonce est néanmoins loin d’être une surprise. Un fonctionnaire américain avait déjà précisé, après la pré-COP début novembre, que les Américains étaient prêts à accepter un “accord hybride”, contraignant sur certains éléments. Tout en excluant catégoriquement toute contrainte juridique sur les objectifs de réduction des émissions. Un sujet qui n’est de toute façon plus sur la table, malgré les appels à répétition de l’UE pour des objectifs contraignants qui pourraient faire croire le contraire.
Le Premier ministre indien a raison de rappeler les besoins de développement de son pays, estiment les ONG indiennes. Le développement et la lutte contre la pauvreté restent les priorités du deuxième État le plus peuplé de la Terre, ont affirmé plusieurs représentants d’ONG, lors d’une conférence de presse du Réseau Action Climat (CAN) Asie du Sud. L’Inde ne pourra pas se passer du charbon, nécessaire pour produire de l’électricité en base, a précisé Srinivas Krishanswamy de la Fondation Vasudha. Les capacités nucléaires ajoutées au bouquet énergétique resteront limitées dans les 10 à 15 ans à venir, a-t-il ajouté. Un discours peu différent de celui du Premier ministre indien, qui avait insisté, dans son allocation à l’ouverture de la COP21, pour dire que son pays ne pourrait renoncer aux énergies fossiles. L’Agence internationale de l’énergie prévoit qu’aucun autre pays dans le monde n'enregistrera une plus forte hausse de sa consommation de charbon et de pétrole d’ici 2040.
Financement climat : le Brésil ne veut pas que les pays émergents soient contraints de contribuer. "Les pays développés appuient" en ce sens, a affirmé hier le chef de la délégation brésilienne, l'ambassadeur José Antonio Marcondes, lors d’une rencontre avec la presse. "Nous avons clairement indiqué que nous mettions nos efforts sur l’auto-coopération. Aucune obligation ne doit dériver de la Convention.”
L’accord de Paris ne permettra pas de limiter le réchauffement climatique, fustige James Hansen. “Vous ne pouvez pas résoudre le problème avec des objectifs individuels pour chaque pays”, a déclaré le climatologue américain, pionnier de la recherche sur le changement climatique, lors d’un débat à l’espace de coworking "Place 2 be" à Paris. Le scientifique estime que seule une taxation des énergies fossiles, qui empêche leur extraction, est efficace pour baisser les émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Le reste de l’actualité au Bourget
Les États-Unis vont donc aider les pays les plus vulnérables à s’assurer contre les risques climatiques. Contexte l’avait indiqué hier dans son livre de bord de la COP 21 - Jour 1. Le montant de la contribution américaine sera de... 30 millions de dollars, a promis le président Obama à plusieurs pays insulaires, selon le département d’État. Il s’agit de “renforcer leur résilience climatique”, allant de l’obtention de données climatiques à l’intégration de la question climatique dans l’aide au développement.
Les 10 % les plus riches de la planète génèrent 50 % des émissions de CO2 mondiales. Oxfam fait ce constat dans un rapport intitulé "Inégalités extrêmes et émissions de CO₂", publié le 2 décembre. Une personne faisant partie des 1 % les plus riches au monde génère en moyenne 175 fois plus de CO2 que celle se situant dans les 10 % les plus pauvres. Pour l'ONG, l’accord de Paris doit reconnaître "la nécessité de faire face aux pertes et dommages causés par les effets du changement climatique auxquels il est impossible de s’adapter".
Les ONG douchent les annonces de l'exécutif sur l'Afrique. François Hollande a coprésidé hier, avec Ban-ki moon, un sommet intitulé “Défi climatique, solutions africaines”. Le président a annoncé vouloir porter à plus de 2 milliards d’euros le financement par la France des énergies renouvelables en Afrique entre 2016 et 2020, soit une hausse de 50% des engagements bilatéraux français par rapport aux cinq dernières années. “Il ne s’agit pas de nouveaux financements”, tranche Oxfam, "mais de la mise en œuvre de ce qui a déjà été annoncé lors de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre”. "Pour l’instant les engagements financiers pris par la France dans le cadre de sa loi de finances 2016 sont loin de refléter ces annonces.”
L’agriculture doit rester en dehors des marchés du carbone. Intégrer les changements d’affectations des sols liés aux activités agricoles dans des mécanismes de marché comporte des risques considérables, explique Carbon Market Watch dans un nouveau rapport. L’ONG souligne notamment que l’absorption d’émissions par le sol est rarement durable. L’agriculture devrait plutôt être traitée dans le cadre des plans d’adaptation des pays.
2 400 centrales à charbon sont planifiées dans le monde. Elles totalisent 1 428 GW de capacité, a chiffré le 1er décembre Climate action tracker. L'ONG inclut les installations annoncées, pré-autorisées, autorisées ou en construction. Leur concrétisation ferait exploser les émissions du secteur de 400% et consommerait de 16 à 18% du budget carbone mondial disponible en 2030, dans un scénario compatible avec un réchauffement endigué à 2°C.
Ségolène Royal a inauguré les espaces Générations climat en présence de Nicolas Hulot. Voisin du centre de négociations onusiennes, cet espace de 27 000 mètres carrés, qui accueillera plus de 360 conférences, du 1er au 11 décembre, est dédié à la société civile. Tous les sujets liés à la transition énergétique doivent être abordés par celle-ci, selon la ministre de l’Écologie, qui les a listés : sortie du charbon, du pétrole, montée en puissance des énergies renouvelables, efficacité énergétique, stratégie bas-carbone, économie circulaire… Tous, donc, sauf le nucléaire.
Les espaces Générations climat doivent permettre aux négociateurs de “s’extraire de la seule expertise”. À condition toutefois qu’ils s’y rendent, ce qui n’est pas gagné. Ils devront remonter tout l’espace de négociations onusien, en sortir, marcher plusieurs minutes, accéder aux espaces en question puis se refaire contrôler leurs affaires aux rayons X. Rebelote en sens inverse pour retourner à l’espace onusien de négociations.
Rock around the COP
Rien de mieux que les maths pour faire adhérer la population à la COP 21. C’est ce qu’ont dû penser les promoteurs de l’affichage grand format, sur les quais du RER B de la gare du Nord, d’équations mises au point par Syukuro Manabe. Le météorologue et climatologue japonais est le pionnier de la modélisation informatique des interactions terre-océan-atmosphère, révolutionnant la compréhension de ce complexe ménage à trois. Puisqu’on te dit, peuple, que les négos climat, c’est du sérieux !
Ségolène Royal blague devant la société civile. La ministre de l’Écologie a donc inauguré, le 1er décembre en présence de Nicolas Hulot, les espaces Générations climat. Elle a salué les représentants de ladite société et les parlementaires présents, assis en face d’elle - Contexte a repéré les députés Sabine Buis (PS), Denis Baupin (EELV) ainsi que les sénateurs Ronan Dantec (EELV) et Fabienne Keller (LR). “Je les connais pour avoir passé de longues heures dans la Chambre, en tout bien tout honneur.” Les lecteurs de Contexte savent que la loi de transition énergétique est bien LE texte chaud du quinquennat.
De nombreuses gourdes à la COP21. 36 000 Gobi, gourde officielle de la négociation climatique internationale, ont été commandées pour l’événement. L’objet est éco-conçu, made in France, et évite l’usage de nombreux gobelets jetables, rapporte La Croix. Si les négociations climatiques ne sont, in fine, pas le succès escompté, les négociateurs auront au moins un souvenir à rapporter à la maison.
À ne pas rater le 2 décembre au Bourget
- Laurent Fabius se rend à la Galerie des solutions sur le site du Bourget (10h30-11h30)
- Dans le contexte international, quelles priorités pour les entreprises européennes au lendemain de la COP 21 ? (Afep, 11h, espace Générations climat, salle 1)
- Du Sommet mondial climat et territoires à la COP21 et au-delà : propositions et dynamiques communes des acteurs non-étatiques (CGLU, 11h, espace Générations Climat, salle 4)
- Comment l'accord de 2015 peut-il encourager l'action climatique pour les parties prenantes ? (OCDE, 11h15, hall 3, pavillon 7)
- Des "clubs climat" pour mettre en œuvre l'accord de Paris (Climate stratégies, 11h30, Hall 4, salle 4)
- Le captage et stockage de CO2 : une technologie éprouvée, sûre et cruciale pour compléter l’ensemble des mesures d'atténuation du changement climatique (CO2GeoNet, 13h15, espace Générations climat, salle 10)
- Le mécanisme technologique de la Ccnucc (Ccnucc, 13h15, salle 1 hall 4)
- Lancement d'un modèle "open-source" d'énergie et d'émissions de gaz à effet de serre à l'échelle d'une ville (SSG, 15h, espace Générations climat, salle 9)
- Le changement climatique à Paris (Météo-France, 15h15, espace Générations climat, salle 8)
- Transformer les plans en résultat : l'art de la mise en œuvre des INDCs (OCDE, 15h15, pavillon 7, hall 3)
- Le transport maritime passera-t-il sous le radar de la COP 21 ? (15h30-16h, salle de conférences de presse n°2, hall 5)
- L'intensification des énergies renouvelables : les implications pour la sécurité énergétique, la conception du marché de l'électricité et l'industrie (AIE, 17h, espace Générations climat, salle 3)